En fait il aurait fallu titrer : Louis Querbes et le catéchisme, car à son époque on ne parlait pas de catéchèse ni de la démarche de rencontre et d’appropriation qu’elle suggère. Pourtant, bien en avance sur son époque, il avait intuitionné la nécessité d’un contact direct avec la Parole de Dieu. Il fera de même avec la liturgie. Il ne faut pas s’étonner alors qu’il donne aux religieux de la communauté qu’il fonde en 1831 le titre de « Clercs paroissiaux ou catéchistes de Saint-Viateur. »
Un peu d’histoire
Un détour s’impose par Vourles, modeste commune de France située à quelques kilomètres au sud-ouest de Lyon.
Depuis 1822, un prêtre du nom de Louis Querbes en a la responsabilité pastorale. Il est né à Lyon en 1793 en pleine Terreur révolutionnaire.
Le calme revenu, il fréquente l’école cléricale de la paroisse Saint-Nizier. S’ouvre alors le chemin du sacerdoce. Il est ordonné prêtre le 17 décembre 1816. Parmi ses compagnons certains s’appellent: Marcellin Champagnat, Louis Collin et … Jean-Marie Vianney.
On les retrouve dans une France qui peine à se relever de la Révolution. Une France à nouveau ruinée par la défaite et les guerres napoléoniennes. La monarchie cherche à reprendre du galon et l’Église de France à se reconstruire.
Même si on entrevoyait pour Louis Querbes une carrière prometteuse, il ne connaîtra qu’une paroisse, celle de Vourles où il décède en 1859.
Il faut savoir qu’avec les années, l’abbé Querbes est devenu le Père Querbes car en plus d’être curé il est supérieur général d’une congrégation religieuse qu’il fonde en 1831. Ce sont les Clercs de Saint-Viateur. Curé et fondateur, tout ce qu’il fallait pour qu’il soit déclaré vénérable par le Pape François le 3 octobre 2019.
Reconstruire
En 1822 tout est à faire. Si l’église du village tombe en ruine, il y a bien d’autres blessures à panser.
À Vourles se trouvent des citoyens qui au plus fort de la tourmente ont porté fièrement la cocarde tricolore et ont même reçu un certificat de civisme garantissant leurs sentiments de vrais « sans culotte ».
Par dérision on appelait ainsi les révolutionnaires parce qu’issus du peuple, ils ne portaient ni culotte ni bas de soie, mais de grossiers pantalons.
Il faudra du doigté. Heureusement Querbes n’en est pas dépourvu. Comme ses confrères des communes voisines, il se retrouve face au défi d’avoir à réorganiser la vie paroissiale.
L’éducation chrétienne des plus jeunes, même leur simple scolarisation, tout comme la rechristianisation des adultes s’imposent comme d’urgents besoins.
Une solution originale
Pour y répondre, il investira sur deux terrains, celui de la catéchèse par le biais de l’enseignement et celui de la liturgie par la voie du culte. Ce sera son originalité.
Toutefois, il sait qu’il ne peut y arriver seul. Dans la prière germe l’idée de s’adjoindre des compagnons.
Les collaborateurs qu’il rêve de rassembler en association seront certes des « enseignants », mais d’abord et avant tout des lecteurs-maîtres-catéchistes et aussi des acolytes-sacristains-chantres à l’église qui verront au bon ordre des célébrations. Voilà qui est pour le moins novateur.
En fait Querbes s’inspire d’une recommandation du Concile de Trente proposant la restauration des ordres mineurs afin de permettre aux laïcs de remplir des fonctions cléricales comme celle de catéchiser. Mais, ironie du sort, le cléricalisme aura raison de son projet de société. Ses compagnons seront des religieux. Adieu lecteurs et acolytes, ministres laïcs ordonnés, même s’ils en remplissent la fonction.
Le nom de Viateur
Qu’à cela ne tienne, si Querbes doit renoncer au projet initial, son intuition demeure. Le patron et le modèle qu’il propose à ses religieux en témoigne. Il retient la figure d’un jeune lyonnais du 4e siècle du nom de Viateur.
Auprès de son évêque Saint Just, il remplit une fonction de ministre ordonné; il est lecteur c’est-à-dire qu’il conserve les livres saints, en fait la lecture et en explique le contenu.
Viateur est un catéchète associé à la liturgie. Fidèle à son évêque, il l’accompagne au désert quand ce dernier est contraint à l’exil pour des motifs politiques. Ses religieux seront des Viateurs.
Une spiritualité novatrice
Originellement, les compagnons du Père Louis Querbes, le fondateur, portaient le titre officiel de Clercs paroissiaux ou catéchistes de Saint-Viateur. Si l’appellation est un peu pompeuse, elle circonscrit déjà l’aventure viatorienne : l’école et la paroisse. Les Viateurs seront des éducateurs, les pieds bien ancrés dans la réalité à la fois scolaire et ecclésiale.
Querbes est un homme de terrain. C’est là que se tisse la spiritualité qui est sienne et qui sera celle de sa famille. Il prône comme il l’écrit lui-même la pratique des vertus ordinaires dans deux champs particuliers : la catéchèse et la liturgie, ce qu’il appelle l’enseignement de la doctrine chrétienne et le service du saint autel. Le portent alors des intuitions qui trouvent aujourd’hui une étonnante actualité.
La Parole
Sans être un exégète de métier, le rapport qu’il entretient avec les Écritures – celui du lecteur – est décisif. Ce rapport est double. Si un lecteur lit d’abord pour soi, il est aussi appelé à lire pour d’autres, à annoncer, à proclamer.
Dès le départ le père Querbes met ses religieux en contact direct avec la Parole de Dieu et cela dans son intégralité. Dans le cadre des exercices quotidiens, tous doivent lire la Bible en français. Avec le grand catéchisme de l’époque, celui du Concile de Trente, elle est lue en entier au cours d’une année. Se rappelant les interdits qui concernent sa fréquentation, cela tient de la révolution.
Ses religieux sont des catéchistes, comme on disait alors. Ils se doivent d’être nourris et compétents. Ils lisent tous les jours ce qu’ils auront à annoncer. Des passages de L’imitation de Jésus-Christ complètent l’exercice.
De façon concrète, le père Querbes imagine pour ses religieux un office particulier qu’il appelle la Légende, du latin legenda « devant être lu », qui voit à répartir cette abondante matière tout au long de l’année liturgique.
La liturgie
Le père Querbes n’est pas davantage un spécialiste en liturgie. Ce n’était pas dans l’air du temps. D’ailleurs au 19e siècle, le mot ne désigne que les rubriques du missel. Ce qui est à retenir comme dans le cas des Écritures, c’est son rapport à la liturgie, au culte aurait-il dit. Il sait qu’une belle cérémonie est une assise majeure à la spiritualité chrétienne.
Jeune il a fréquenté une manécanterie, celle de l’école cléricale de Saint-Nizier, il a donc chanté à l’église. Il a connu surtout les grandes liturgies du rite lyonnais avec ses chorégraphies et ses concélébrations.
Par ailleurs, une préoccupation l’habite, celle de la participation active des fidèles. Pour y parvenir, quoi de mieux que le chant et la musique. S’il compte sur ses collaborateurs dont il souhaite offrir les services à ses confrères voisins, lui-même met ses talents de poète et de musicien à profit. Dès 1835, il publie un premier recueil de cantiques.
Son approche des questions liturgiques et catéchétiques est forcément celle de son temps, mais il a des insistances et des attitudes qui lui sont propres aidant à définir le charisme dont les Clercs de Saint-Viateur sont les héritiers.
Aujourd’hui, avec des mots plus contemporains, nous disons que notre mission est d’annoncer Jésus Christ et son évangile et de susciter des communautés où la foi est vécue et célébrée. C’est ainsi que la Parole lue, proclamée et annoncée, et la liturgie qui l’offre en partage sont au cœur de la spiritualité qui nous est propre.