S’unir à Dieu pour faire reculer le mal

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La prière est essentielle à la vie

La prière a un sens vital, créateur et libérateur. Elle permet d’établir le règne du bien par l’union avec Dieu. Maurice Zundel n’hésite pas à voir en elle l’antidote suprême au mal dans le monde.

Cet article repose sur une conférence de Maurice Zundel intitulée « Le mystère du mal et son remède : la prière » donnée à Paris, le 3 février 1974.

Un commencement de « solution »

Au cours du 10e siècle avant Jésus-Christ, dans un milieu sapientiel, un auteur a tenté de résoudre le problème du mal (se référer à Genèse 2,4-3,24).

De fait, pour toute personne qui croit à une Providence divine, l’existence du mal a toujours été une douloureuse interrogation.

Adam, Ève et serpentDans ce récit, Dieu place l’homme et la femme dans un paradis terrestre.

Ils succomberont à la tentation incarnée par la figure du serpent avec pour conséquence l’entrée de la souffrance dans le monde.

Le souci de l’auteur? Innocenter Dieu du mal.

C’est l’être humain et sa descendance qui paieront le prix de la faute originelle.

Dieu pour sa part ne semble aucunement souffrir de ce mal. Il reste au-dehors.

Maurice Zundel souligne que le récit dans Genèse est admirable, mais qu’il constitue une direction de pensée qui est inachevée et incomplète.

Le problème du mal est repris dans le livre de Job

Au cours du 5e avant Jésus-Christ, dans le livre de Job, le mal apparaît comme une injustice flagrante à l’endroit des personnes innocentes.

Job est présenté comme un être qui n’a rien à se reprocher et qui n’hésite pas à clamer son innocence.

JobIl désire s’entretenir avec Dieu, face à face, afin de lui dire l’injustice dont il est l’objet alors qu’il souffre terriblement.

Dieu interviendra en rappelant à Job sa Toute-Puissance et sa Sagesse qui surpassent infiniment celle de l’homme.

Job reconnaîtra « sa place », avouant qu’il a été présomptueux pour avoir voulu remettre en question la Providence divine.

Finalement, Dieu restaurera Job dans tous ses biens et lui rendra fils et filles. « Après cela, Job vécut encore cent quarante ans et il vit ses fils et les fils de ses fils jusqu’à la quatrième génération » (Jb 42,16).

Comme le souligne Zundel, le problème avec le récit de Job est que « l’argument » de la puissance n’est pas une réponse adéquate aux inquiétudes de l’amour.

Il faudra qu’advienne le mystère de l’Incarnation de Dieu, tout particulièrement avec sa passion en Jésus, pour que la question du mal prenne un sens tout à fait inattendu, même si déjà, dans le Premier Testament, Dieu était occasionnellement présenté comme un Être sensible qui est affecté par ce que vivent les êtres humains.

En Jésus, dans son agonie en particulier, le mal n’est plus seulement une réalité qui affecte l’être humain, mais Dieu lui-même :

Jésus lui répond : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe! Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : « Montre-nous le Père »? (Jn 14,9)

« Le Père et moi, nous sommes UN. » (Jn 10,30)

Le mal de Dieu

Le père Werenfried Van Straaten (de l’ordre des Prémontrés) dans un ouvrage intitulé « Où Dieu pleure », nous fait part notamment de sa vocation où il s’est senti appelé à « sécher les larmes de Dieu partout où il pleure sur la terre ».

Père Werenfried Van StraatenUne étonnante vocation pour laquelle il était plein de reconnaissance à l’endroit du Seigneur. Une vocation au service des plus souffrants de la terre.

Ce saint homme était dans la foulée des François d’Assise, Vincent de Paul, Jean Bosco et bien d’autres qui ont compati profondément à toutes misères humaines et qui n’ont pas cessé d’être animés par un grand amour de Dieu, car ils voyaient en Lui non pas le responsable du mal qu’ils combattaient, mais bien un Cœur affecté par celui-ci.

Comme le souligne Zundel, tous ces hommes posaient sur le réel un regard mystique qui savait percevoir dans tout mal une blessure faite à Dieu. Non pas un Dieu qui plane au-dessus de nos têtes à l’instar du Dieu des philosophes ou du moteur immobile d’Aristote, mais un Dieu intérieur caché au cœur de toute créature.

Pascal l’avait compris : « Jésus sera en agonie jusqu’à la fin du monde, il ne faut pas dormir pendant ce temps-là ».

Et quel est le mal suprême selon Zundel?

C’est de traiter l’être humain comme un objet et de l’asservir comme s’il était sans valeur :

« Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous? » (1 Co 3,16)

« Tout mal n’a pas de sens s’il n’y a pas une valeur infinie, une Présence, dans l’univers comme dans l’être humain qui peut être méconnue et piétinée » (Maurice Zundel)

Et que faire pour enrayer ce mal?

« Nous évacuerons le mal dans la mesure de notre union à Dieu » (Maurice Zundel)

L’antidote suprême au mal dans le monde

Peut-être pensons-nous nous connaître, mais la vérité est que nous ignorons totalement ce que nous aurions fait si nous avions subi les mêmes influences que telle ou telle personne dans l’histoire de l’humanité.

À titre d’exemple, l’idéologie nazie avait entraîné en son temps des millions d’hommes et de femmes dont plusieurs commirent les pires atrocités. De « bons » pères et mères de famille avaient été gagnés par une idéologie suprémaciste où la fin justifiait les moyens. Même une partie de l’Église d’Allemagne avait sombré dans cette idéologie.

Or, pendant ce temps, de véritables spirituels, comme le pasteur et théologien Dietrich Bonhoeffer, avaient la force d’aller à contre-courant et de lutter contre le mal qui rongeait leur pays.

Et nous? Qu’aurions-nous fait? Bien malin qui peut répondre à cette question.

Lumière et ombreLe philosophe Sartre (et Zundel lui donnait raison) avait affirmé que nous sommes capables de toutes les fautes et de tous les crimes.

Les pires crimes furent commis par des êtres humains tout comme nous, et si nous avions été à leur place, subissant les mêmes influences qu’ils ont subies, qui sait ce que nous aurions fait?

Zundel n’hésite pas à affirmer que nous aurions fait exactement la même chose qu’eux à moins que nous ayons gardé contact avec Dieu qui est la source de notre vie.

Un certain dicton affirme « Qui se ressemble s’assemble ». Or il est tout aussi vrai d’affirmer que « Qui s’assemble finit par se ressembler ».

Et rien de plus vrai que cette affirmation à propos de notre relation à Dieu.

On peut s’évertuer à s’examiner autant qu’on voudra afin de prendre conscience de nos défaillances et de nos fautes, mais l’essentiel est de chercher à s’unir Dieu qui est « amour, force et lumière » afin de vivre de sa Vie.

S’éloigner du cœur de Dieu, c’est à coup sûr entrer dans la nuit et se disposer à faire le mal dont jamais nous ne nous serions crus capables.

Et quelle est la voie royale afin de s’unir à Dieu et nous immerger de sa lumière? C’est la prière.

La prière, chemin de salut

Personne qui prieLe sens de la prière est de nous unir à Dieu et de nous immerger de sa lumière. La prière a donc un sens vital, créateur et libérateur.

Milosz, cité par Zundel, affirme :

La seule chose qui importe en ce monde est la prière. C’est la prière qui donne connaissance et charité.

La prière est retour vers notre origine et elle nous donne de devenir origine, à l’image et la ressemblance de Celui qui est à la source de notre vie.

La prière est donc essentielle à la vie, car elle permet d’établir le règne du bien par l’union avec Dieu qui est caché au plus profond de nous-mêmes.

La prière de demande

La prière de demande est le fond de nos prières, même liturgiques.

Des demandes qui se transforment en amour si le cœur est ouvert, car dans toute demande authentique il y a demande de Dieu :

Ce que nous demandons à travers tous les cheminements terrestres, à travers tous les biens qui sont nécessaires à la construction de nous-mêmes et à la sécurité de notre existence, ce que nous demandons finalement, c’est Dieu lui-même. Tout le reste n’est qu’un chemin pour parvenir à Lui. (Maurice Zundel)

Une prière de demande peut donc devenir une prière d’amour : nous demandons de nous unir à Dieu et c’est précisément ce qu’il désire pour nous, car il veut nous faire don de sa Vie.

La prière de demande authentique? C’est la rencontre de deux désirs.

La prière de Jésus

Un des trésors de l’Église orientale est la « prière de Jésus » (ou « prière du cœur ») qui a été portée à l’attention de l’Occident notamment par les « Récits d’un pèlerin russe ».

Récits d'un pèlerin russeUne prière de demande qui est un hommage à la miséricorde et la tendresse de Dieu.

Elle consiste en quelques mots : « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur! »

Une prière toute simple inspirée de l’Évangile, qui a suscité une multitude de saints.

Le pèlerin russe en était arrivé à dire cette prière des centaines voire des milliers de fois par jour, comme un cri d’amour qui le jetait dans le cœur de Dieu au point de transformer sa vie toute entière.

Comme le souligne Zundel, il arrive que des prières plus longues nous fatiguent quand notre organisme est épuisé ou que notre esprit est vidé.

« Ton désir, c’est ta prière » (Saint Augustin)

Quelques mots suffisent pour que le cœur soit touché, pour que l’amour s’exprime.

Thérèse de Lisieux cherchait à vivre tous les petits moments de la vie par amour et dans un esprit de prière.

Elle avait foi qu’une épingle ramassée et offerte avec amour, dans le silence de son monastère, pouvait contribuer à changer le monde :

Cette forme de prière intérieure, vécue dans l’intention d’être avec le Christ, malgré les distractions, est communion aux souffrances du monde. Elle peut soutenir mystérieusement les chrétiens qui sont persécutés et parfois torturés au nom de leur foi. L’oraison devient alors le levier qui soulève le monde et qui l’embrase d’un feu d’amour. (Tiré de la page 111 de La petite voie avec Thérèse de Lisieux, Jacques Gauthier, Novalis).

Nous pourrions décliner la « prière de Jésus » de diverses manières, selon notre attrait, afin de transformer notre vie en don, afin de demander à Dieu sa grâce tout au long du jour.

Voici quelques exemples :

  • Seigneur, apprends-nous à vous aimer… dans ce travail, dans cette écoute, dans ce service rendu, dans…
  • Seigneur, je t’offre ceci ou cela pour…
  • Seigneur, apprends-nous la patience dans…
  • Seigneur, apprends-nous à nous émerveiller dans…
  • Merci Seigneur pour… apprends-nous la reconnaissance dans…
  • Etc.

Des prières toutes simples susceptibles d’habiter l’ensemble de notre quotidien, et qui, dans le silence de notre cœur, font circuler la vie à l’échelle planétaire dans un esprit d’offertoire.

Des prières qui nous unissent à Dieu, donnent sens aux multiples instants de nos jours et font grandir l’amour dans notre cœur.

La messe au service de notre union à Dieu

Zundel insiste sur l’importance que la messe ait ce caractère d’union à Dieu.

ChapelleEn son temps, il se désolait que « les gens qui viennent à la liturgie dominicale repartent comme ils sont venus ».

Il faut des temps de silence, un certain rythme, et bien sûr, des paroles inspirantes, afin que le rassemblement des témoins de Jésus-Christ contribue à nourrir la passion de Dieu.

Zundel n’hésite pas à affirmer que la crise de l’Église se noue précisément là : il faut que l’eucharistie contribue à l’union avec Dieu.

Faire oraison sur la vie

Zundel nous invite à « faire oraison sur la vie » par une qualité de regard qui sait discerner la Présence de Dieu cachée au cœur du monde : en nous, dans les autres, dans l’univers, dans la connaissance, dans l’art, dans l’amour…

Dans le christianisme, il n’y a pas de différence entre le sacré et le profane : il n’y a qu’un monde qui est sacré.

Saint Benoît, dans sa règle, prescrit aux moines de traiter les objets du monastère comme des vases sacrés.

Dieu ne fait pas de bruit, il est l’être le moins contraignant qui existe :

Ce n’est pas Dieu qui refuse de nous exaucer, c’est nous qui ne l’exauçons pas, nous qui ne vivons pas en sa Présence, c’est nous qui n’accueillons pas les ondes de lumière et d’amour qu’il ne cesse de nous envoyer, c’est nous qui le laissons comme un pèlerin étranger attendre, désolé, à la porte de notre cœur. (Maurice Zundel, Ton visage ma lumière, p. 121)

C’est notre écoute attentive qui percevra la « musique silencieuse » qu’Il est en ce monde.

Toute activité qui est orientée vers Dieu et qui émane de Lui concourt à l’avènement de son Règne d’amour, de paix, de beauté et de vérité.

« La lampe du corps, c’est l’œil. Donc, si ton œil est limpide, ton corps tout entier sera dans la lumière. » (Mt 6,22)

C’est la simplicité du regard, affirme Zundel, qui est la source de la perfection humaine.

« Être un simple regard d’amour vers Dieu… au fond, tout est là… c’est dans ce regard que nous entrons dans la relation. »

La prière pour les autres

Prier pour les autres, c’est déjà aimer.

De plus, la prière est indispensable à l’éclosion de la charité, car étant différents les uns des autres, il est inévitable que nos limites nous heurtent réciproquement au point même de déchaîner notre colère ou notre ressentiment.

Or comment surmonter les limites des autres se demande Zundel?

En découvrant, par la qualité de notre regard, la Présence de Dieu comme une possibilité dans le cœur des autres.

La charité, c’est la perception de la vocation divine de tout un chacun.

La Présence de Dieu nous est confiée dans les autres autant qu’en nous-mêmes.

« Là où il n’y a pas d’amour, mettez de l’amour et vous récolterez de l’amour. » (Saint Jean de la Croix)

Un être fermé et bloqué dans son égocentrisme, son orgueil et sa sensualité, pourra demain émerger, pourra dans un retournement miraculeux, comme la pécheresse de l’Évangile, devenir le plus grand des contemplatifs. (Maurice Zundel)

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