Rien ne peut davantage stimuler notre générosité que de voir en Dieu la première victime du Mal et de nourrir en nous le souci de ne pas le blesser, en blessant l’homme ou toute créature dont Dieu est solidaire jusqu’à la mort de la croix.
Nous nous appliquerons avec d’autant plus d’ardeur à extirper le paupérisme, la famine, les taudis, la prostitution, la guerre et toutes les formes de violation de l’homme que nous serons plus sensibles, à travers tous ces maux, aux blessures de Dieu.
C’est la prise de conscience de cette identification de l’homme avec Dieu et de Dieu avec l’homme qui a provoqué, dans une tradition mystique et liturgique du christianisme, une attitude de compassion avec Dieu. Il n’y a aucun doute que cette méditation du mystère du Mal nous amène à découvrir plus profondément le Dieu intérieur qui est la vie de notre vie, ce Dieu fragile et désarmé qui nous attend au plus intime de nous et qui nous est confié en nous, en autrui et dans tout l’univers.
Comment ne pas comprendre, en face de la Croix, que Dieu nous appelle à être des créateurs, qu’il ne peut, sans nous, transparaître dans notre histoire, que la création de l’univers est une histoire à deux, une histoire d’amour, qui ne peut s’achever que si nous achevons en nous notre propre création, en entrant pleinement dans le mariage d’amour qu’il veut contracter avec nous?
Si nous songeons, dans le silence de nous-mêmes, que nous portons en nous une Présence, une valeur infinie, et que c’est justement le fait de la méconnaître volontairement, en nous ou dans les autres, qui constitue le mal absolu, comme notre regard sur la vie sera transformé!
Maurice Zundel
Je est un Autre, Maurice Zundel, Anne Sigier, 1997, p. 41-42.