Mettre du sens et de l’intelligence dans nos démarches de chrétiens

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Modernité, sens, humanisation et libération

Convaincu de la pertinence de la proposition chrétienne pour le monde d’aujourd’hui, Yves Burdelot nous invite à « mettre du sens dans nos démarches de chrétiens et à y mettre autant d’intelligence pour aborder les questions de la foi que nous en mettons dans la réalisation de nos professions ».

Principaux thèmes de cet article : modernité, nécessaire reformulation de la foi chrétienne, valorisation de l’existence présente, sens et reconnaissance, sens et autonomie (théonomie), notion de péché, liberté et libération.

Cet article reprend quelques idées de l’excellent ouvrage d’Yves Burdelot intitulé « Devenir humain. La proposition chrétienne aujourd’hui » (Éditions Cerf, 2005).

Devenir humainConvaincu de la pertinence de la proposition chrétienne pour le monde d’aujourd’hui, Yves Burdelot nous invite à « mettre du sens dans nos démarches de chrétiens et à y mettre autant d’intelligence pour aborder les questions de la foi que nous en mettons dans la réalisation de nos professions ». (p. 9-10)

L’enjeu est d’importance : comment dire aujourd’hui les enjeux fondamentaux du christianisme? Comment les repenser? (p. 24) Yves Burdelot nous invite à être attentifs à la manière dont nous exprimons notre foi chrétienne.

Dans un monde en quête de sens, il importe que la foi chrétienne soit crédible afin qu’elle soit prise au sérieux.

La modernité

Impossible de penser et de dire le christianisme sans assumer les exigences critiques de la modernité, sans tenir compte du fait que nous vivons, en Occident à tout le moins, dans une société laïque et sécularisée.

Mentionnons qu’il est erroné de vouloir opposer le christianisme à la modernité. Dans son remarquable ouvrage intitulé « Le Christ philosophe », Frédéric Lenoir montre comment le message éthique du Christ a joué un rôle-clé dans l’avènement de la modernité occidentale ainsi que dans la construction de l’identité proprement occidentale.

Pourquoi la démocratie et les droits de l’homme sont-ils nés en Occident plutôt qu’en Inde, en Chine ou dans l’Empire ottoman? Parce que l’Occident était chrétien et que le christianisme n’est pas seulement une religion.

Certes, le message des Évangiles s’enracine dans la foi en le Dieu de Jésus-Christ, mais le Christ enseigne aussi une éthique à portée universelle : égale dignité de tous, justice et partage, non-violence, émancipation de l’individu à l’égard du groupe et de la femme à l’égard de l’homme, liberté de choix, séparation du politique et du religieux, fraternité humaine.

(Tiré de l’ouvrage « Le Christ philosophe »)

Voici quelques caractéristiques de la modernité :

  • Droits de la personne
  • Valorisation de la raison et de l’esprit critique au service de la quête de la vérité
  • Aspiration à l’égalité et à la justice
  • Progrès, changement, marche en avant

HommeTout à coup, l’être humain se voit placé au centre.  L’esprit de la modernité (qui ne fait qu’un avec le projet humaniste) est issu d’un vaste mouvement européen où l’on affirma la dignité et la liberté de l’être humain.

Considéré comme le père de l’humanisme au sein de la renaissance, le poète italien Pétrarque (1304-1374) passa sa vie à colliger les manuscrits des Anciens, grecs et latins. Chose étonnante, c’est pourtant un texte on ne peut plus chrétien qui va le convaincre de la nécessité d’un recentrement sur l’homme par un effort d’introspection : les Confessions de saint Augustin. (« Le Christ philosophe » p. 171)

Pétrarque montre que le christianisme vaut surtout parce qu’il parle de la profondeur de l’être humain, de son intériorité. En cela, il rejoint la sagesse des auteurs anciens qui cherchent à comprendre l’homme. Christianisme et sagesse antique ne s’opposent donc pas, mais tiennent le même discours à partir d’un point de vue différent. (« Le Christ philosophe » p. 171)

Pour les philosophes des Lumières, la raison est véritablement ce bien commun de l’humanité, elle est universelle, elle s’exprime à travers la connaissance scientifique, elle postule l’égalité de tous les hommes et exige la démocratie, elle justifie le libre arbitre et l’autonomie de chaque homme considéré comme sujet dans un État de droit. (« Le Christ philosophe » p. 181)

Le Christ a enseigné la liberté, l’égalité, la fraternité, la séparation des pouvoirs? Fort bien, disent les modernes. Reprenons tous ces excellents principes dans une perspective humaniste. (« Le Christ philosophe » p. 184-185)

La question de la formulation de la foi chrétienne

En présence d’une société moderne qui se caractérise par une mentalité légitimement critique et qui place « l’être humain au centre », Yves Burdelot insiste sur la nécessité de reformuler la foi chrétienne (et ce sans affadir son message) afin de la rendre plus intelligible pour le monde d’aujourd’hui.

Yves Burdelot nous invite à nous questionner sur le contenu de la foi chrétienne.

À titre d’exemple, quand nous disons …

  • … « Dieu »
  • … « Jésus-Christ est sauveur »
  • … « Rédemption » ou « Salut »
  • … « Nous croyons à l’Église »

… que voulons-nous dire ?

Comment repenser la proposition chrétienne de telle sorte que son contenu redevienne audible pour les hommes et la culture d’aujourd’hui ? (p. 25)

« Ne pas se dérober à l’implacable grandeur de la vie »

Cette formule d’Albert Carmus nous invite à valoriser l’existence présente et à ne pas la fuir en raison de l’espérance en une autre vie.

Les chrétiens parlent de salut : il s’agit bien d’une certaine façon de vivre qui pourrait sauver la vie actuelle. Concrètement, il s’agit « d’affirmer la justice pour lutter contre l’injustice éternelle et de créer du bonheur pour lutter contre l’universel malheur. » (p. 41)

Plutôt que d’accepter avec résignation, au nom d’un paradis à venir, les misères et les injustices du monde présent, le chrétien luttera contre tout ce qui rabaisse l’être humain et porte atteinte à son bonheur. À l’instar de Jésus de Nazareth, c’est maintenant qu’il importe d’incarner ce que l’Évangile appelle le « Royaume ». « Que ton Règne vienne sur terre comme au Ciel ». (Mt 6,10)

Le chrétien s’engage à redresser l’homme, encore plus s’il est victime, dans les autres comme en soi-même.

Sens et reconnaissance

La vie chrétienne est fondamentalement une vie relationnelle où je suis appelé à être « quelqu’un pour quelqu’un d’autre » : aux yeux de Dieu comme de mon prochain.

Tout chrétien est appelé à une qualité du regard, de la parole et de l’agir.

« Le fait primordial qui pose du sens et en même temps l’exige, c’est le regard, ce lieu où je me perçois, ou non, comme reconnu. » (p. 52) :

  • La reconnaissance à travers mes actes
  • L’expérience d’une authentique solidarité
  • L’expérience d’aimer et d’être aimé
  • La reconnaissance de ma dignité et de celle des autres

Sens et autonomie

« Il est impossible d’imaginer que l’homme moderne puisse se satisfaire de la seule appartenance à la réalisation d’un grand dessein. » (p. 57) En effet, la montée du désir d’autonomie est une donnée irréversible de notre monde. L’homme moderne désire être « créateur ».

Pour sa part, le chrétien discerne une orientation profonde dans nos vies et dans notre monde.

Seulement, tout comme l’homme moderne, le chrétien se croit investi de dons et de talents qui lui permettent de répondre, de manière créatrice et inventive, aux appels du prochain, de la vie et de notre monde en quête de sens, de vie et de bonheur.

Le sens est autant à découvrir qu’à faire. La vie chrétienne n’étant pas une vie résignée ou passive.

La proposition chrétienne : un chemin d’humanité, humble et ouvert

Plutôt que de se satisfaire de l’être humain tel qu’il est, le chrétien croit que chaque individu porte en soi une humanité en devenir.

« L’homme passe l’homme » disait Pascal. Croire en l’être humain, c’est aussi croire que l’être humain est à faire. (p. 63)

L’éthologiste autrichien Konrad Lorenz avait écrit : « Le maillon manquant entre le singe et l’homme, c’est nous ». Pour Lorenz, l’être humain est loin d’avoir atteint son véritable statut. Il est encore en deçà et comme en attente de sa véritable identité. (p. 63)

Devenir humain, sauver l’homme dans l’homme, faire advenir l’homme dans l’homme : la pensée humaniste et la proposition chrétienne se recoupent.

Parler du sens de la vie comme du salut revient donc à évoquer un dépassement, un « au-delà » dont l’humanité porte en elle l’appel et la capacité pour peu qu’elle veuille bien s’y ouvrir (p. 64)

La liberté (au sens de libération) ainsi que notre humanité sont à advenir et à conquérir. (p. 68)

La notion du péché, qu’en est-il ?

Selon la perspective chrétienne, la notion de péché dénonce le piège le plus secret de l’homme : vouloir se suffire à lui-même. (p. 69)

En réponse à l’homme moderne qui aspire légitimement à l’autonomie, la pensée chrétienne affirme que la véritable autonomie comme la véritable liberté s’enracine en Dieu. Comme le dirait le Père Henri Boulad s.j., la perspective chrétienne est une de théonomie.

C’est notamment ce qu’expérimentent les spirituels, dont l’apôtre Paul : « Je peux tout en Celui qui me fortifie. » (Ph 4,13)

L’être humain ne peut vivre uniquement par soi-même à l’instar d’une monade ou d’un être clos. Il a besoin de Dieu et des autres êtres humains.

La personne humaine a besoin d’une relation ouverte et aimante avec Dieu comme avec l’autre humain afin d’avancer dans sa propre humanité, afin de devenir lui-même. (p. 69)

Liberté et libération

« Celui qui aura mesuré combien facilement nos conduites peuvent devenir inhumaines alors qu’elles se disent libres, celui-là comprendra aisément l’intérêt du langage biblique. Il ne parle pas d’abord de liberté, mais de libération. » (p. 77)

ChaîneLes Dix Paroles qui fondent le code de l’Alliance passée avec « Dieu » s’adressent à « Toi qui as été libéré ». Il n’est de liberté que dans l’expérience de libération d’un esclavage.

Dans la Bible, l’homme est considéré comme naturellement esclave et non pas naturellement libre.

Il est esclave d’oppression politique (l’Égypte au temps de Moïse, Rome au temps de Jésus) et aussi d’aliénations intérieures.

L’homme est esclave de son besoin de nuire à son prochain et de façon plus générale de ses besoins, de ses désirs et de ses mensonges.

Et Dieu promet à l’homme qu’il peut devenir libre de tous ces esclavages.

Les Dix commandements sont en fait dix promesses faites par Dieu à l’homme. L’avez-vous remarqué? « Tu ne commettras pas de meurtres, tu ne feras pas de faux témoignages, etc. » Ce ne sont pas des impératifs, ce ne sont pas des commandements. Ce sont des promesses exprimées au futur.

(p. 77)

Ainsi, selon la perspective chrétienne, l’être humain peut devenir libre. Il est appelé à le devenir.

L’Apôtre Paul s’est employé notamment à présenter le christianisme comme le lieu privilégié de la libération, tant pour les individus que l’humanité toute entière.

La liberté? Échapper à tout enfermement. Maurice Zundel a notamment insisté sur la nécessité de se libérer de son propre moi enclin à tout ramener à soi afin de devenir une source et un don pour les autres.

Il ne s’agit pas de l’annihilation de sa personnalité, mais plutôt du plein emploi de sa personne, avec son plein potentiel (dons, talents, qualités, charismes…) afin de faire vivre hors de soi une œuvre, une découverte, un amour. Bref, afin de faire vivre les autres êtres humains. (p. 83)

« Ma vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne » (Jn 10,18)

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