Eucharistie et spiritualité

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Un autre regard

Inspiré de la pensée de Maurice Zundel, cet article met en lumière quelques aspects fondamentaux de l’Eucharistie.

Cet article s’inspire à titre particulier de l’excellent ouvrage intitulé Un autre regard sur l’Eucharistie – Textes inédits de Maurice Zundel choisis et présentés par Paul Desbains », Le Sarment, 2001.

Maurice Zundel (1897-1975), prêtre suisse, mena une vie de prédicateur itinérant, pratiquement inconnu de son vivant. Sa vision de l’être humain et de Dieu rencontre aujourd’hui l’attente d’un très large public.

Un amour créateur

« Dieu est Amour » et il « procède par libre choix » affirment respectivement les apôtres Jean et Paul (1 Jn 4,16 et Rm 9,11).

Plante et auroreC’est parce que l’amour déborde en Dieu qu’il crée le monde et qu’il appelle les êtres humains à l’existence. Mais pas pour n’importe quelle vie, car l’Amour désire pour nous ce qu’il y a de meilleur : une vie où se respire l’amour et la liberté.

« Créés à son image » (Gn 1,27), nous sommes appelés à être « à sa ressemblance. » Les « jeux ne sont donc pas faits d’avance », car l’Amour ne s’impose pas.

Au fait, l’apprentissage du bonheur à la manière de Dieu passe par une nouvelle naissance (Jn 3,3).1

Maurice Zundel dirait qu’il s’agit de se laisser revêtir et aimanter par le Moi divin afin de pouvoir échapper aux limites de notre moi propriétaire, qui ramène tout à soi, qui ne voit que soi et qui ne se préoccupe que de soi (Zundel, op. cit., p. 205).

Et l’Eucharistie dans tout cela?

Dans le Christ, le genre humain ainsi que tout l’univers a été uni d’une manière particulière à Dieu. On peut même parler de « fiançailles » et de « mariage »! Un ferment de libération a été semé.

Or, ce ferment de libération nous est communiqué à titre particulier sous les espèces du pain et du vin : c’est là l’aboutissement du geste créateur qui jaillit du cœur aimant de Dieu.

« … pour que notre vie ne soit plus à nous-même » (4e prière eucharistique) et que connaissions la « joie du don » (Mère Térésa de Calcutta).

Un dialogue d’intimités

« Beaucoup de chrétiens ont une conception magique des sacrements et particulièrement de l’Eucharistie. » (Zundel, op. cit., p. 21)

MainsD’une certaine manière, l’ère moderne nous a habitués à une panoplie de résultats faciles, sans trop d’investissement ou d’efforts de notre part : tel médicament pour tel mal, tel bouton qui actionne tel appareil, etc. Il est relativement facile de se procurer une panoplie de biens pour autant que l’on dispose de ressources financières.

Pour l’amour, l’amitié, la liberté d’être et les valeurs, il en va bien autrement… : il faut payer de sa personne.

Les valeurs spirituelles passent par l’engagement et le don de soi, par une certaine disponibilité. Nous sommes à mille lieux ici de solutions faciles ou mécaniques.

Le sacrement de l’Eucharistie se situe, on le devine bien, dans l’ordre du « spirituel ». Point d’Eucharistie sans rencontre véritable, sans disponibilité, sans dialogue, sans accueil.

Comme le dit Zundel, il ne faudrait pas croire qu’il suffit d’avoir le pain consacré dans la bouche pour être sauvé! (Zundel, op. cit., p. 148). L’Eucharistie est un sacrement, pas un « rite magique ».

« Tout est reçu à la manière du recevant ». À l’Amour qui se donne, à l’intimité de Dieu qui s’offre à nous, on ne peut qu’offrir notre intimité et notre propre désir de le rencontrer.

Une intériorité appelle la rencontre d’une intériorité. La présence réelle appelle notre qualité de présence. L’Amour ne s’impose pas.

« Ah, la messe! La liturgie divine! Si nous la vivions, nous serions radicalement transformés. » (Zundel, op. cit., p. 92)

« Il est clair que, quand les volets sont fermés, le soleil ne peut pas pénétrer mais ce n’est pas la faute du soleil. De même Dieu quand il est présent : si nos volets sont fermés, sa présence demeure inefficace. » (Zundel, op. cit., p. 37)

Puisqu’il s’agit d’un échange de personne à personne, comme en amour ou en amitié, Dieu peut bien être présent, si nous sommes absents, rien ne se passera.

Parce que Dieu respecte l’être humain, le sacrement n’est pas magique : « Dieu qui nous a créés sans nous, ne nous sauvera pas sans nous ».

Un horizon universel et communautaire

Saint Thomas d’Aquin aimait parler du « bel amour de soi ». S’aimer véritablement ce n’est pas de l’égoïsme, c’est se souhaiter ce qu’il y a de meilleur.

CommunautéL’Évangile ne dit-il pas « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mc 12,31) ?

L’Eucharistie a certes cet horizon personnel où le communiant désire recevoir le Christ, s’unir à lui et devenir ce qu’il est.

Cependant, comme le disait le curé d’Ars, « le bon Dieu m’obtient à peu près tout ce que je lui demande sauf quand je prie pour moi! ».

Sans doute faut-il nuancer ces propos, mais c’est dire combien la prière elle-même est appelée « à se faire charité ». On prie pour soi et pour les autres. Ainsi en est-il de l’Eucharistie qui est la « prière par excellence » : son horizon est communautaire.

« Cet horizon universel, catholique au sens littéral puisque que catholique veut dire universel, est l’horizon des sacrements. » (Zundel, op. cit., p. 39)

« Et le Dieu vivant n’est pas notre Dieu à nous tout seuls. Il est le Dieu de toute cette humanité, (…) et nous ne pouvons rejoindre vraiment ce Dieu vivant, le Christ vivant, qu’en prenant avec nous toute l’humanité et tout l’univers. C’est pour cela que l’Évangile à un horizon communautaire, un horizon humain. » (Zundel, op. cit., p. 32)

Ainsi, on participe à la liturgie avec et pour les autres. Le mot clé pour bien comprendre l’Eucharistie, c’est « ensemble ».

« Nous sommes là pour tous, avec tous et au nom de tous et, sans cette communion universelle, il n’y a pas d’Eucharistie. » (Zundel, op. cit., p. 105)

Aller à la messe, communier avec et pour les autres, concrètement cela veut dire être leur voix, leur soutien dans l’épreuve, leur espoir, leur désir de paix, leur réconfort et leur secours.

Dans le cœur de Dieu, dans le corps mystique, la Vie circule et s’échange.

Le chrétien catholique, le chrétien universel est appelé à assumer avec le Christ tout l’univers et toute l’humanité. Il portera dans son cœur les agnostiques, les athées, les musulmans, les bouddhistes, les catholiques, les protestants, les noirs, les blancs… bref, tout être humain appelé à rencontrer le Dieu Vivant.

« C’est toute l’humanité qui devient présente au Christ, à ce Christ éternellement présent et qui nous demande pour l’atteindre de ne pas le saisir avec nos mains mais par la communauté, en elle et au nom de la communauté. Nous le « saisissons » avec un cœur universel de sorte qu’en nous donnant à lui nous nous donnions en lui au monde entier. » (Zundel, op. cit., p. 158-159)

Communier avec le prochain

EnfantVeux-tu honorer le Corps du Christ? Ne commence pas par le mépriser quand il est nu. Ne l’honore pas ici avec des étoffes de soi, pour le négliger dehors où il souffre de froid et de la nudité. Car celui qui a dit : Ceci est mon corps, est le même qui a dit : Vous m’avez vu affamé et vous ne m’avez pas nourri. Quelle utilité à ce que la table du Christ soit chargée de coupes d’or, quand il meurt de faim? Rassasie d’abord l’affamé et orne ensuite sa table.

Qui pratique l’aumône exerce une fonction sacerdotale. Tu veux voir ton autel? Cet autel est constitué par les propres membres du Christ. Et le Corps du Seigneur devient pour toi un autel.

(Saint Jean Chrysostome, La prière : une liturgie des rues et des places, Lectures de chaque jour de l’année, p. 240)

La veille de sa passion, le Christ nous a livré l’Eucharistie en même temps qu’un commandement nouveau : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13,34). Il s’est même agenouillé au lavement des pieds afin de signifier quelle est la véritable grandeur, celle du service.

La messe doit garder cette ordination évangélique qui identifie constamment la communion à Dieu à la communion avec le prochain : « J’ai eu faim, j’ai eu soif, j’étais en prison, j’étais nu, malade… » (Mt 25)

« Nous communions avec le Christ qui nous lie à notre prochain dans la mesure où saisissons en chacun le Prochain unique, le prochain qui est Dieu, ce Dieu fragile et menacé, ce Dieu dont la Vie nous est confiée. » (Zundel, op. cit., p. 111-112)

Ainsi, la liturgie eucharistique devient-elle le principe d’une conversion jamais achevée où notre humanité devient sensible à tous les besoins humains, tout d’abord de ceux que les circonstances mettent sur notre route.

Mort et résurrection : un difficile passage

« Qu’il est difficile d’aimer » chante Gilles Vigneault. S’il est vrai que l’être humain n’est jamais plus heureux et moins mauvais que lorsqu’il aime, il n’en demeure pas moins que l’apprentissage de l’amour n’est pas de tout repos. Elle a même une odeur de « sacrifice » :

  • sortir d’un repliement sur soi pour communiquer avec d’autres;
  • considérer les besoins de son semblable et travailler à son bien;
  • le courage de faire le bien quels que soient les sentiments éprouvés;
  • s’offrir pour le service, que ce service soit reconnu ou non;
  • sortir d’une négativité agressive pour être semeur de joie;
  • sortir d’une vision unilatérale pour entrer dans la pensée d’un autre;
  • sortir de son désir de possession pour respecter autrui;

Autant d’actes d’amour, autant de « mort à soi-même », autant d’ « attitudes sacrificielles » où l’on meurt à un moi possessif pour passer à un moi qui aime, à un moi oblatif.

« Mort et résurrection » au cœur même de notre vie de tous les jours.

La communion au Christ mort et ressuscité nous engage, au cœur même de notre vie, dans une dynamique vers un engagement de charité qui ne cesse de s’approfondir.

Ce n’est pas toi qui me changeras en toi comme le fait la nourriture de la chair, mais c’est toi qui seras changé en moi.

(Confessions de Saint Augustin, 7,10)

« Jésus Christ, chemin d’humanisation » : c’est l’humanité ou l’inhumanité qui démarque les êtres.

Être témoin

Monastère« Nous communions pour être transformés en la Présence réelle, pour être nous-mêmes une présence réelle parce que les véritables tabernacles et les véritables ciboires, c’est nous-mêmes. » (Zundel, op. cit., p. 164)

Au fait, au-delà des paroles audibles, l’être parle avec plus d’intensité.

Ce fait est d’autant plus important à souligner que notre qualité d’être est sans contredit le moteur principal de l’évangélisation : on écoute volontiers les témoins.

Dans cette perspective, dans la mesure où l’Eucharistie nous fait entrer dans les « mœurs de Dieu », nous pouvons, souvent à notre insu, « parler de Dieu » à ceux qui croisent notre route.

« Finalement qu’a fait sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus? Rien! Rien, sinon les choses les plus banales et les plus insignifiantes, mais elle a été une présence réelle, une présence totale, une présence si radicalement donnée à Jésus-Christ qu’elle est devenue une présence au monde entier. » (Zundel, op. cit., p. 179)

L’accomplissement de l’univers

Terre« Car la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu » (Rm 8,19)

« Nous le savons en effet : la création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement » (Rm 8,22)

Même si dans le récit poétique de la création (Gn 1) on fait mention, à l’instar d’un refrain, « Que Dieu vit que cela était bon », le Notre Père nous rappelle qu’il faut prier « pour que son règne vienne sur terre comme au ciel » (Mt 6,9).

La terre et les cieux sont certes magnifiques à admirer, il n’en demeure pas moins que la création n’est ni parfaite ni achevée. Le « scandale du mal » est même une des principales causes de l’athéisme.

Pour Zundel, l’eucharistie n’est pas seulement l’accomplissement de l’humanité, c’est aussi celui de l’univers :

« Et il semble bien que cela nous montre une vocation de l’univers : l’univers n’est pas enfermé dans un déterminisme et une fatalité matériels. Non! Il est ouvert, l’univers est ouvert, l’univers a une vocation, l’univers est touché par l’esprit, il est appelé à se spiritualiser, à se libérer, et cela veut dire que Dieu veut se communiquer à l’univers, jusqu’au moindre atome de matière. » (Zundel, op. cit., p. 193)

Dans l’Eucharistie notamment, il y a une mystérieuse transformation du pain et du vin, où la matière s’ouvre à la divinité :

« Et voilà que justement, à travers les espèces consacrées, la matière est libérée, l’univers physique se personnalise et l’unité de la création, pour un moment tout au moins, s’accomplit. » (Zundel, op. cit., p. 176)

En conclusion

C’est parce que le Repas du Seigneur est riche de toute une constellation de sens qu’il a une importance majeure dans la vie des chrétiens. Ainsi, convient-il de souligner ici que cet article s’est proposé de mettre en lumière quelques aspects fondamentaux de l’Eucharistie.

Comme le disait Saint Thomas d’Aquin, « le fruit premier de l’action eucharistique, c’est l’unité de l’Église et la charité des chrétiens ».

Souhaitons-nous de puiser à cette Source qui nous est offerte afin d’entrer dans la Vie de Dieu et de contribuer à la répandre. Et pourquoi pas… souhaitons-nous également des liturgies évangéliques, inspirantes et intelligentes qui nous donnent le goût d’y participer!

  1. Jésus lui répondit: “En vérité, en vérité, je te le dis: à moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu.” (TOB)
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