2e article d’une série de 4 qui vous présente quelques morceaux choisis tirés d’un excellent ouvrage intitulé « Jésus de Nazareth qui es-tu? » que nous vous conseillons grandement.
Henri BOULAD, Jésus de Nazareth qui es-tu ?, Éditions Anne Sigier, 2006, 145 p.
Introduction
Qui est Jésus? Depuis 20 siècles, le monde ne cesse de se poser la question. (…)
Le judaïsme refuse son messianisme et sa divinité.
L’islam reconnaît en lui un prophète exceptionnel, né miraculeusement d’une vierge, cas unique dans l’histoire. Il admet que Jésus a fait des miracles extraordinaires et qu’il reviendra à la fin des temps pour juger l’humanité. Chose curieuse, l’islam n’affirme cela ni de Mohammed, ni de Moïse, ni de personne d’autre.
Les témoins de Jéhovah, eux aussi, exaltent le Christ et reconnaissent en lui non seulement un prophète, mais un démiurge, l’intermédiaire ultime entre le Créateur et sa création – un peu ce que le logos platonicien ou stoïcien représentait pour les Grecs. Toutefois, ils lui refusent l’attribut de divinité. C’est aussi la position de beaucoup d’athées ou agnostiques, qui admirent en Jésus un génie religieux, une personnalité spirituelle hors pair. Mais ça s’arrête là.
L’hindouisme va encore plus loin et reconnaît en Jésus un avatar de Brahma, une incarnation de Dieu parmi des milliers d’autres.
Le christianisme refuse toutes ces positions et affirme que le Christ n’est pas qu’une des nombreuses manifestations du divin, mais le Fils unique de Dieu. Son incarnation, événement unique dans l’histoire, représente un hapax, c’est-à-dire quelque chose d’absolument singulier.
(p. 41-42)
Mais qui es-tu donc, Jésus de Nazareth ?
Le premier à avoir posé cette question, c’est Jésus lui-même : « Qui dit-on que je suis? » (…) « Et pour vous, leur dit Jésus, qui suis-je? » Prenant la parole, Simon-Pierre répond: « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant! » (Mt 16,13-16).
Ce cri du cœur sera le roc sur lequel Jésus bâtira son Église. Il constitue l’affirmation centrale du christianisme, « l’acte de foi chrétien » par excellence.
Une divinité non évidente
Étonnamment, l’Évangile fait état de quelques textes qui semblent nier la divinité du Christ. Lorsque Jésus proclame : « Nul ne connaît le jour dernier, sinon le Père » (Mt 24,36), lorsqu’il affirme que le Père est plus grand que lui (cf. Jn 14,28), lorsqu’il endosse le titre de « serviteur » à l’égard de Dieu, il semble se situer au second rang… Cependant, il existe également des textes où Jésus se dit l’égal du Père, ne faisant qu’un avec Dieu. Comment se situer devant de telles contradictions? (p. 43)
Une divinité humble
Comme le souligne Henri Boulad, lorsqu’on dit : « Le Christ est Dieu », il faut aussitôt ajouter : « Il ne l’est pas à la manière dont nous l’imaginons ».
De fait, la divinité du Christ n’est pas une divinité éclatante à l’image du Dieu du Sinaï dans l’Ancien Testament. C’est plutôt une divinité discrète, secrète, cachée, que seule la foi peut discerner. Pascal dirait qu’elle ne se révèle « qu’aux yeux du cœur qui voient la sagesse ». (p. 44)
Dit autrement, dans son Incarnation, la Parole (Logos) laisse au vestiaire ses attributs divins (omnipotence, omniscience, infinité, éternité…) pour entrer dans notre monde nu comme l’enfant de Bethléem.
Il s’est fait homme au plein sens du terme.
Chose étonnante, Jésus de Nazareth n’en demeure pas moins un personnage central dans l’histoire humaine. Est-ce un hasard si, dans le monde entier, tout événement se situe par rapport à lui : avant Jésus-Christ, après Jésus-Christ ?
Comme le dit Pascal : « Jésus-Christ que les deux Testaments regardent, l’Ancien comme son attente, le Nouveau comme son modèle, tous deux comme leur centre ».
Alpha et Oméga
Ayant été fortement marqué par la théologie de Teilhard de Chardin, Henri Boulad explicite sa pensée dans son ouvrage.
Mentionnons une thèse centrale chez Teilhard de Chardin : Création et Incarnation sont concomitantes. Qu’est-ce à dire ?
Pour Teilhard, la longue histoire de l’univers a pour finalité d’offrir à la création la possibilité d’accepter la Parole (Logos) qui l’habite déjà : le Christ (Parole de Dieu) est au commencement (Alpha) et au terme (Oméga) de la création.
Le sens de l’histoire
Pour Henri Boulad (avec Teilhard de Chardin), la création a besoin du « oui » de l’être humain, créature libre et spirituelle, pour réaliser sa vocation ultime.
L’être humain seul peut reconnaître et accepter la Parole à l’œuvre dans la création. C’est le sens de l’Incarnation.
En Jésus de Nazareth, le Verbe caché depuis les origines se propose à l’homme pour que celui-ci, au nom de la création tout entière dont il est le porte-parole, puisse ouvrir au Verbe son cœur et ses bras. Tel est le sens ultime de l’acte de foi. (p. 54)
Comme le dit Henri Boulad :
L’Oméga (fin) = Alpha (commencement) PLUS vous, moi et le monde.
L’acte de foi
L’acte foi est fondamentalement ce « oui » de l’être humain à Dieu comme réponse à un autre « Oui », celui de Jésus. (p. 54)
En Jésus de Nazareth, le Verbe (Parole) caché depuis les origines se propose à l’être humain.
La vie de foi ou le passage de la personnalité à la personne
Henri Boulad nous invite à distinguer deux notions qu’on a l’habitude de confondre : personnalité ET personne.
Cette distinction est d’une très grande importance pour approcher le mystère de Jésus de Nazareth et comprendre l’invitation qui nous est proposée dans la vie chrétienne : devenir une personne.
La personnalité
La personnalité? C’est notre « moi » ou « ego ». Plus précisément, il s’agit de tout ce qui fait notre identité et nous distingue des autres : caractère, qualités, défauts, intelligence, conscience, volonté et liberté. C’est l’individu.
La personne
La personne est le dépassement de la personnalité dans une ouverture plénière à l’autre, aux autres, à l’universel… et ultimement à Dieu. La personne n’émerge que dans la mesure où la personnalité se dépasse. (p. 57)
Comme le dit Maurice Zundel, c’est le passage du « donné » (personnalité) au « don » (personne).
La personne est la négation de cette personnalité illusoire que nous pensons être. Je suis au-delà de moi. J’émerge au-delà de ce que je crois être. (…) Dans la mesure où je me dépasse comme monade close, c’est-à-dire comme individu, je me réalise comme personne. En devenant pure ouverture, pure réceptivité, j’accède à l’universel. (p. 59)
La perfection de la personne en Jésus de Nazareth
Pour les chrétiens, Jésus est le seul homme dans l’histoire à avoir été une personne, au vrai sens du mot. (p. 59)
Pourquoi? Parce que son humanité a laissé toute la place à la Parole (Logos).
Ce qui caractérise son être, c’est cette totale ouverture, ce OUI INCONDITIONNEL à la Parole qui a trouvé en lui une humanité entièrement disponible. (p. 60)
En termes traditionnels, on appellerait cela « la parfaite obéissance du Christ » ou la « totale conformité à la volonté du Père ».
Homme parfait prototype de toute humanité, Jésus réalise en lui la perfection de la personne. Nous ne sommes, quant à nous, que des embryons de personnes, des tentatives d’êtres humains, des individus en voie de personnalisation. Lui, il est la seule personne humaine au sens fort et total du mot. C’est là que le dogme nous aide à découvrir une vérité éblouissante sur l’être humain. (p. 60)
C’est en ce sens que Jésus est le « Fils de l’homme », comme le dit l’Évangile.
L’Homme dans sa perfection, parce qu’il a vécu cette vocation d’ouverture, cette démarche de personnalisation, comme nul autre ne l’a vécue et ne la vivra. C’est en ce sens qu’il est le Maître. Il n’est pas tant le Maître par l’enseignement qu’il donne que par le modèle qu’il représente et qu’il s’agit pour nous de reproduire. (p. 60)
Le salut apporté par Jésus-Christ
Aux yeux du chrétien, Jésus est la « lumière qui éclaire tout homme venant dans ce monde ». Tel un souffle intérieur, il invite tout être humain à adhérer à la Parole qui est à l’œuvre dans le cœur de tout être humain.
Le salut, c’est cette démarche d’ouverture à l’autre et à l’amour par laquelle l’homme opère le passage de l’individu à la personne et s’intègre par là à la seule Personne véritable qui récapitule en elle toutes celles qui ont fait la même démarche que lui. Le chrétien est celui qui découvre un visage derrière une telle démarche et qui lui donne un nom. (p. 61)
Le rôle central du Christ dans l’histoire
On pense parfois que le christianisme est une doctrine parmi d’autres, une sagesse, un enseignement ou une religion parmi d’autres…
Comme le souligne Henri Boulad, « le christianisme n’est pas un enseignement sur Jésus, une doctrine sur Jésus, une théologie de Jésus, c’est Jésus lui-même. » (p. 64)
Jésus est le « OUI » par lequel passent tous nos « oui » à la Parole qui est à l’oeuvre dans l’univers. Le Christ est le nouvel Adam, le chef de file de la nouvelle humanité.
Le Christ nous aide à dépasser la jalouse possession de nous-mêmes pour devenir pure ouverture.
Ouverture à qui? À quoi? À l’autre, aux autres, au monde, à Dieu. Il s’agit d’une seule démarche par laquelle l’individu devient personne et accède à l’universel. Une fois brisé le noyau dur de l’ego, l’être perd ses limites et devient Tout. (p. 65)