4e article d’une série de 4 qui vous présente quelques morceaux choisis tirés d’un excellent ouvrage intitulé « Jésus de Nazareth qui es-tu? » que nous vous conseillons grandement.
Henri BOULAD, Jésus de Nazareth qui es-tu ?, Éditions Anne Sigier, 2006, 145 p.
Des origines de l’univers à l’être humain
L’univers
Le mot « univers » vient du mot unus, qui signifie “un”. L’étymologie du mot est déjà une invitation à penser l’univers en terme de tout, en terme d’unité. (p. 117)
Le Big Bang
Ce monde infiniment complexe dans lequel nous vivons tire son origine, selon la science, d’un point guère plus gros que la pointe d’une épingle qui aurait explosé il y a plusieurs milliards d’années. (p. 118)
Sens ou non-sens ?
Pourquoi cette masse primitive a-t-elle engendré l’univers? Y a-t-il un but, un sens, une finalité derrière cette formidable aventure?
Si on répond par la négative, on est en pleine absurdité. Il est impensable que cette immense entreprise ne mène à rien, n’ait aucune signification. (Henri Boulad, p. 118)
La beauté du monde, la formidable puissance de l’esprit, la vie elle-même ne sauraient être l’effet d’un hasard. Un encrier qui se renverse ne fait pas un poème. (André Chouraqui, Autobiographie)
L’humanité, sans le goût de vivre, cesserait bientôt d’inventer et de créer pour une œuvre qu’elle saurait d’avance condamnée. (…) Le Monde est une trop grande affaire. Il a depuis les origines, pour nous enfanter, miraculeusement joué avec trop d’improbables (…). S’il a entrepris l’œuvre, c’est qu’il peut l’achever. (Teilhard de Chardin, Le phénomène humain)
Un principe d’unification à l’œuvre
L’origine, nous dit la science, n’était qu’un pur conglomérat de matière-énergie à l’état de chaos, de désordre total. (p. 119)
Étonnamment, ce magma originel s’est progressivement structuré pour constituer des constructions de plus en plus complexes : atome, molécule, macromolécule, apparition de la vie, végétal, animal et finalement… être humain. (p. 120)
On dénote, dans cette marche en avant de l’univers, l’avènement de structures de plus en plus élaborées, où les composantes s’effacent au profit de nouveaux centres d’intégration.
Il y avait donc, au cœur de cet apparent chaos, un principe d’unification à l’œuvre qui s’efforçait de rassembler et d’organiser les éléments de l’univers. (p. 119)
Ce principe d’unification visait essentiellement à associer l’univers à sa propre évolution, à sa propre création, dans un auto-engendrement où il se construirait lui-même de l’intérieur. (p. 119)
L’avènement de la conscience
Plus profondément, on remarque que la complexité croissante de l’univers, dans son processus évolutif depuis ses origines, a abouti à l’émergence d’un psychisme de plus en plus élaboré, à une conscience de plus en plus éveillée.
Sur cette terre, ce qu’il y a de plus évolué, de plus développé, de plus complexe, de plus conscient, c’est l’homme. En lui se poursuit la marche en avant de la vie. (p. 122)
Comme le disait Teilhard de Chardin, « l’homme est la flèche montante de l’évolution ».
Le rôle promoteur de l’être humain
Quel serait donc la place (vocation ou mission) de l’être humain, lui qui est le point le plus évolué (du moins sur terre) de cette formidable aventure qu’est l’histoire de l’univers?
Henri Boulad n’hésite pas, avec Teilhard de Chardin, à affirmer que la grande responsabilité de l’être humain est de permettre au monde de s’accomplir.
Plus précisément, il incombe à l’être humain d’humaniser, de spiritualiser le monde.
Henri Boulad nous rappelle ce que nous ressentons tous… chaque être humain porte en lui la nostalgie d’une vie pleinement humaine, d’une vie d’unité, d’une vie d’amour :
M’unir aux autres, c’est m’ouvrir à eux, c’est leur donner ce que j’ai et ce que je suis, pour recevoir ce qu’ils ont et ce qu’ils sont. C’est ce qu’on appelle l’amour. (…)
Aimer, c’est s’augmenter de la richesse de l’autre et lui communiquer sa propre richesse.
Aimer, c’est sortir de son individualité close pour accéder à la personne.
Aimer, c’est élargir son cœur pour y faire entrer tous les hommes.
Aimer, c’est grandir en humanité pour tendre à devenir l’Humanité.
(p. 125)
Une Âme pour ce monde
S’il est entendu que l’être humain est la flèche montante de l’évolution, il n’en est pas pour autant le sommet. (p. 126)
Cet immense univers ou “corps” qui se construit a besoin d’une Âme à sa mesure.
Teihard de Chardin dirait qu’il a besoin d’un formidable Centre (Pôle Intégrateur) qui correspond à ce qui manque à l’univers pour qu’il trouve sa cohérence et son sens.
L’épître aux Colossiens
20 siècles plus tôt, l’apôtre Paul dans son épître aux Colossiens (1,15-20) avait déjà imaginé un Pôle intégrateur dans la personne du Christ :
Image du Dieu invisible, Premier-né de toute créature, car c’est en lui qu’ont été créées toutes choses, dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles…
Tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant toutes choses et tout subsiste en lui. Et il est aussi la Tête du Corps…
Il est le Principe, Premier-né d’entre les morts (il fallait qu’il obtînt en tout la primauté), car Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux…
Pour Paul, avant même que le monde commence, le Principe était déjà là, au travail.
Le livre de Proverbes
Le chapitre 8 du livre des Proverbes fait allusion à la Sagesse qui est à l’œuvre dès le début de la création, agissant comme un dynamisme caché pour faire lever la pâte de l’univers jusqu’à sa pleine maturation. (p. 129)
Le Seigneur m’a créée au début de ses desseins, avant ses œuvres les plus anciennes.
Dès l’éternité, je fus fondée, dès le commencement, avant l’origine de la terre. (…)
Quand il affermit les fondements de la terre, j’étais à ses côtés comme le maître d’œuvre, faisant ses délices jour après jour, m’ébattant tout le temps en sa présence, m’ébattant sur toute la surface de la terre et mettant mes délices à fréquenter les enfants des hommes.
L’épître aux Éphésiens (chapitres 1 et 2) identifiera cette Sagesse comme étant le Christ :
Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions personnelles, aux cieux, dans le Christ.
C’est ainsi qu’il nous a élus en lui, dès avant la fondation du monde…
Déterminant d’avance que nous serions pour lui des fils adoptifs par Jésus-Christ…
Il nous fait connaître le mystère de sa volonté, ce dessein bienveillant qu’il avait formé en lui par avance, pour le réaliser quand les temps seraient accomplis : ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les êtres célestes comme les terrestres. (…)
En lui, vous aussi, vous êtes intégrés à la construction pour devenir une demeure de Dieu, dans l’Esprit.
Comme le souligne Henri Boulad, « au rapport d’antériorité souligné par le livre des Proverbes, Paul ajoute un rapport d’intériorité. (…) Cela signifie que le monde visible n’est que le déploiement d’un Principe invisible caché en lui depuis l’origine. (…) Tout est déjà en germe dès le départ. » (p. 131)
Dieu m’a rêvé depuis les origines
Saint Paul, qui ne connaissait ni l’évolution ni tout ce que la science a découvert 20 siècles plus tard, nous dit que nous étions déjà présents dans le cœur de Dieu, depuis les origines, pour faire partie de ce Corps, dont chacun de nous représente une cellule, un membre. (p. 132)
Comme le souligne Henri Boulad,
Le christianisme n’est rien d’autre que la révélation de cette vocation dernière de l’humanité. En tout cela, le Christ joue un rôle essentiel, irremplaçable, structurel. Sans lui, l’humanité serait un corps sans âme, totalement incapable de se construire (…). (p 133)
C’est l’Homme nouveau, qui chez Saint Paul, s’y présente toujours sous un aspect collectif. Il est le Corps du Christ…
Le Christ n’est pas d’abord l’ami de l’âme retirée, il est d’abord le Rassembleur de cette humanité dispersée. À l’image antique d’une ascèse individuelle… le christianisme substitue l’image d’une marche collective d’âge en âge de l’humanité entière, qui entraîne le monde physique avec elle dans la Rédemption. (Emmanuel Mounier, La petite peur du XXe siècle, Seuil, 1948, p. 114).
L’unité sous le Christ et l’apport de l’être humain
Comment se réaliseront l’unité et l’accomplissement de tout l’univers dans le Christ? Quelle est la contribution irremplaçable de l’être humain dans cette formidable aventure?
Pour répondre à cette double question, Henri Boulad porte à notre attention cette triple démarche qui est à l’œuvre dans l’univers et à titre particulier chez l’être humain : centration, décentration et surcentration.
Voyons de plus près…
Centration (ou individuation)
Comme le souligne Henri Boulad, l’étape de centration (ou individuation) est celle où l’être humain est centré sur lui-même, cherchant à se poser et à s’affirmer. Cette première étape est normale et essentielle dans tout développement humain. (p. 137)
En terme plus populaire, nous dirions que c’est l’étape de l’égocentrisme.
Or avant de se donner, il faut tout d’abord exister.
Une affirmation de soi est nécessaire, juste et normale, et il ne faut pas la considérer comme un péché, un vice ou une marque d’égoïsme…
Si un enfant n’a pas été assez aimé, reconnu, aidé, apprécié, s’il a été critiqué, blessé par des parles désobligeantes, des comparaisons, s’il s’est senti seul, incompris, il doute de lui. Il vit sans avoir vraiment confiance en sa vie et je dirais même sans oser vivre vraiment, comme s’il n’était pas convaincu qu’il a le droit d’exister, que son existence est très importante et qu’il a sa place au soleil…
Dans les conditions ordinaires, un être humain n’ose pas, de façon normale, naturelle et aisée, s’affirmer. Je ne parle pas de tous les comportements plus ou moins pathologiques. Un être humain n’ose pas se tenir droit et exprimer : « C’est moi, et j’ai le droit de vivre et je suis immensément important »
(Arnaud Desjardins, Un grain de sagesse, p. 193-194)
La centration, c’est l’enfant qui veut qu’on s’occupe de lui, qu’on s’intéresse à lui. Sa nature exige cela. C’est normal, nécessaire et indispensable dans cette première étape de son développement. (p. 138)
Décentration (ou personnalisation)
Même si elle n’a pas attendu ce moment pour s’exprimer, à l’adolescence la pulsion sexuelle pousse l’enfant à s’ouvrir à l’autre, à sortir de lui-même dans la découverte qu’il fait de l’amitié, de l’amour et de l’altérité. C’est le début de la décentration, qui n’a pas trop de toute une vie pour se réaliser. (p. 138)
C’est le « je vous aime, je me donne à vous, je me perds en vous. » (p. 136)
Surcentration (ou supersonnalisation)
Selon Henri Boulad, grâce à la double démarche, centration et décentration, individuation et personnalisation, affirmation et don, je deviens mûr pour entrer en Celui qui est seul capable de concilier la singularité de l’individu et l’universalité de la personne. (p. 138)
La foi chrétienne consiste à faire du Christ le pôle de sa vie, à miser sur lui son existence tout entière.
Elle consiste à s’attacher à ce Centre universel pour atteindre en lui la Plénitude.
Elle consiste à trouver en lui la perfection de notre vocation d’hommes en reconnaissant que nous sommes incapables de la réaliser seuls.
Elle consiste à miser sur Celui qui a dit de lui-même : Je suis la Voie, la Vérité, la Vie, la Lumière du monde, le Cep, la Porte, le Berger, la Résurrection. (p. 139)
L’union au Christ : une union supersonnalisante
« Je suis venu pour qu’on ait la Vie et qu’on l’ait surabondante » (Jn 10,10)
Comme le dit le Père Boulad :
Cette surabondance de vie qui était en Jésus, il voulait nous la faire partager. Chacun de nous n’en possède qu’une simple étincelle. Alors que lui, il est la Vie en plénitude. (p. 140)
La mort-résurrection de Jésus, c’est le passage de Jésus de Nazareth au Christ universel. (p. 140)
« Si le grain de blé tombé en terre ne meurt, il demeure seul; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12,24)
Cette nostalgie de plénitude qui habite le cœur humain et qui est au-delà des capacités humaines n’est pourtant pas un vain désir :
Alors le Christ me dit : « Ce que tu ne peux réaliser par toi-même, tu le peux par moi. Par moi, tu auras accès à la Plénitude à laquelle tu aspires. Par moi, tu parviendras à combler l’immensité de ton désir. Par moi, tu deviendras Tout. » (p. 141)
À l’instar de la petite molécule qui se perd dans la plante pour devenir vie, l’être humain parvient à la plénitude en acceptant de se « perdre » dans le Christ.
Par cette démarche de renoncement à mon individualité close, j’accéderai à la personne, qui fait éclater mes limites et m’ouvre à l’Universel. (p. 141)
Une question se pose : est-ce que l’union au Christ fera perdre à un être humain ce qu’il a d’unique, de singulier et d’original? Bien au contraire, affirme Henri Boulad :
L’union personnalise, l’union supersonnalise.
S’il en était autrement, l’évolution, au lieu de marquer un progrès, représenterait un recul, une régression. Or, la vie ne recule jamais.
Ce grain de personnalité que je suis, ce grain d’humanité qui a lentement mûri tout au long de ma vie, loin de s’évanouir et de disparaître, se voit promu à un niveau supérieur.
(p. 141-142)