Cinquième de la série.
Il existe plusieurs raisons pour prier. Une raison fondamentale consiste à trouver le chemin de son cœur, à vivre en profondeur, à naître à soi-même par la communion à la Présence qui nous habite.
Cette série sur le thème de la prière s’inspire tout particulièrement de l’excellent ouvrage intitulé « La prière retrouvée » que nous vous recommandons grandement.
La prière retrouvée par Pierre Guilbert, 1981, Foi vivante – Vie spirituelle, Nouvelle cité, Distribution Cerf, 1981, 180 p.
Nous avons eu la chance de nous procurer cet ouvrage en faisant une recherche sur le Net. Notre copie est usagée, car l’ouvrage semble vraisemblablement épuisé.
Un vide à la place de son cœur
N. B. Afin de saisir le contexte de ce cinquième article de la série, nous vous conseillons de lire les articles précédents.
L’insensibilité
Avant qu’il ne retrouve la prière au cœur de sa vie, Pierre Guilbert confesse qu’il vivait à la surface de son être :
Il ne se passait rien dans ma vie. Il y passait des choses, mais il n’en restait rien, ou presque, comme l’herbe au creux de la roche. Les gens aussi passaient. Passaient sans entrer. Sans pousser la porte. […] Moi-même je n’entrais pas, ou si peu. Je vivais à l’extérieur, évitant habilement ce qui m’aurait blessé. Les jours passaient, et les mots, et les années, monotones. […] Je vivais en surface, invulnérable. (p. 66)
Les autres comme faire-valoir
Comme Pierre le souligne, il existe plusieurs autres manières de vivre à l’extérieur de soi.
À part l’invulnérabilité, une manière fréquente consiste à utiliser les autres comme faire-valoir au profit de son « moi, moi, moi ».
Les autres comme du « matériel de remplissage » en quelque sorte. Mais le vide résiste et ne se laisse pas habiter. (p. 67)
On tombe alors dans la plainte et l’on reproche aux autres d’être responsables de son vide intérieur.
Être possédé par les choses
Une autre manière de vivre à la surface de son être consiste à s’évader dans la matérialité la plus plate, à la différence d’un poète qui sait rejoindre l’âme des choses.
Tu t’imagines toujours que ce que tu ne possèdes pas encore est seul capable de remplir ton cœur vide. Illusion. Les choses farcissent ton cœur sans parvenir à le combler. (p. 68)
Une vie en surface dont on ne se rend même pas compte
On peut avoir un vide à la place de son cœur et ne pas vraiment s’en rendre compte.
Mais vient un jour où tout bascule : on prend alors conscience qu’on vit en surface.
Pour Pierre, ça s’est passé dans un temps de retraite à l’occasion d’un « examen de conscience » alors qu’il priait :
Et puis cela m’est venu et je l’ai dit à mon tour : « Seigneur, je te demande pardon pour tous les mots habiles qui ont caché le vide de mon cœur ».
Je m’en rends compte aujourd’hui. Il s’agissait de bien autre chose que de ma vie apostolique. (p. 70)
Une lumière douloureuse, mais salutaire, lui avait été donnée.
Une rude vérité l’ouvrait un peu plus vers le chemin de son cœur.
Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. (Mc 2,17)
Le chemin du cœur ne passe pas par la tête
Intellectuel de nature, Pierre se plaisait aux discussions et aux abstractions. Il était en pays de connaissance.
Certes, il n’est pas question de remettre en cause la fonction de l’intelligence.
Seulement, ce n’est pas parce qu’on parle bien de certains sujets que notre cœur est rejoint pour autant.
J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante. (1 Co 13,1)
Ce ne sont pas les mots habiles, les raisonnements, les belles idées ou les savantes déductions qui font entrer dans la prière.
Il te faut passer d’une prière que tu « fais » à une prière que tu « reçois », qui t’est « donnée », une prière pour laquelle tu n’as plus à faire « travailler tes méninges ». (p. 76)
Tu apprends, de jour en jour, à prier avec le cœur. Avec beaucoup de silence et de silences. (p. 77)
La quantité de paroles n’a aucun poids dans la prière.
Votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant même que vous l’ayez demandé. (Mt 6,8b)
Finalement, prier, c’est cela : exaucer Dieu, lui qui nous a éternellement accueillis, qui nous est éternellement présent et offert; lui, qui n’attend, pour faire jaillir, au fond de nous-mêmes, toute sa lumière et tout son Amour, que notre présence. (Maurice Zundel)
Entrer dans la prière véritable
En plus de ce qui a été exprimé dans le précédent article à propos de l’importance du silence extérieur et intérieur, « il existe une manière de répétition douce et calme qui aide à entrer dans la prière véritable ». (p. 77)
Un mot, une parole, une phrase, un souvenir parlent à ton cœur. Tu les répètes, intérieurement, pour en extraire lentement toute la saveur spirituelle. (p. 77)
Reprends la parole qui t’est dite tant qu’elle parle à ton cœur, tant qu’elle nourrit et soutient ton attention, restes-y. (p. 78)
Se contenter de répéter la parole au fond de son cœur, lentement, entrecoupé de temps de silence.
Il nous faut retrouver le silence; et, dans le silence, retrouver la présence, la vérité, pour devenir un jour quelqu’un. (Maurice Zundel)
C’est dans le silence qu’on naît à soi-même. (Maurice Zundel)
C’est ce silence qui est l’objet de toute grandeur, c’est dans ce silence que l’on découvre la Présence infinie, c’est dans ce silence que l’on naît à soi-même, c’est dans ce silence que l’on atteint jusqu’à la racine de soi et la racine des autres. (Maurice Zundel)
Se refuser à expliquer, intellectualiser, rationaliser la parole qui nous est dite.
La parole fait son œuvre en nous, d’elle-même. C’est Dieu qui nourrit notre cœur, pas notre intellect.
Il faut peu de mots pour animer une prière, même une longue prière.
On passe ainsi de la tête au cœur.
On passe d’une prière que l’on fait à une prière que l’on reçoit, comme un cadeau.
Ce n’est pas difficile, justement parce qu’il n’y a rien à « faire ». (p. 79)
Si nous voulons atteindre à notre dignité, il faut entrer dans le recueillement le plus intime de notre âme, il faut écouter, cesser de faire du bruit avec nous-mêmes.
C’est à ce moment-là que nous touchons le fond de notre être, que nous sommes dans cette religion silencieuse où notre vie s’enracine en Dieu. (Maurice Zundel)
Pour aller plus loin
Trouver un moment propice au silence dans sa journée (ce peut être même dans la nuit si l’on a l’habitude de se lever pour quelque temps).
Pour la plupart des gens, les minutes qui suivent le lever est le temps idéal. Il suffit de devancer son heure habituelle de lever.
Selon son expérience, Pierre Guilbert dit avoir besoin au minimum d’une trentaine de minutes de prière personnelle chaque jour. On peut s’approcher de ce temps peu à peu.
Faire silence. Demander au Seigneur la prière de ce jour. Écouter ce qui monte (si tel est le cas) pour cette journée.
Répéter doucement la parole qui nous est dite. L’important est le temps donné. Ce que tu donnes à Dieu, il te le rendra au centuple.
À suivre…