Le mot “crèche” désigne une mangeoire d’animaux. D’après saint Luc, c’est ce qui à sa naissance a servi de berceau à l’enfant Jésus. Par extension, on a appelé “crèche” toute représentation de l’étable de Bethléem avec Jésus, Marie et Joseph. Son histoire n’est pas banale et la mieux comprendre peut nous aider à entrer dans le mystère de Noël.
Aux origines de la crèche
Une esquisse… dès les années 150
Tout commence le soir du tout premier Noël. Saint Luc nous apprend que : « Marie enfanta son fils premier né, l’enveloppa de langes et le coucha dans une crèche, parce qu’il manquait de place dans la salle » (Luc 2,7).
La scène n’est pas banale. Il ne faut donc pas s’étonner de la voir esquissée sur une parois des catacombes de sainte Priscille et cela dès les années 150.
Des reproductions dans des églises romaines
Quelques trois siècles plus tard, quand s’édifie à Rome une basilique dédiée à Marie, on y installe une reproduction de la grotte de Bethléem pour y déposer une relique de la crèche. Ultérieurement de telles installations sont aménagées dans d’autres églises romaines.
À Naples, des crèches telles que nous les connaissons
En ce qui concerne les crèches que nous connaissons avec leurs petits personnages fabriquées de matériaux les plus divers, elles auraient été imaginées par des artisans napolitains.
Du moins, c’est ce qu’on affirme à Naples avec beaucoup de conviction. Mais en fait cette renommée est surtout redevable à un facteur déterminant qui favorisera leur diffusion.
Autour de l’an 1000, théâtre et crèche au service d’une catéchèse sur Noël
Au tournant du premier millénaire, une nouvelle coutume tend à se généraliser. Les événements de Noël sont présentés sur les parvis des églises sous forme de pièces théâtrales. Par ailleurs quelqu’un aura l’idée d’utiliser la crèche pour en faire une véritable catéchèse du mystère de Noël.
Greccio année 1223
François d’Assise et la crèche vivante
On reconnaît bien volontiers à François d’Assise un rôle prépondérant dans l’histoire de la crèche. S’il ne l’invente pas comme nous la connaissons aujourd’hui, il aurait été le premier à avoir l’idée de célébrer Noël avec un tableau vivant. Il faut savoir qu’ayant accompagné les croisés, François séjourne en Palestine et a la chance de connaître Bethléem. Il en rapporte un souvenir inoubliable qu’il a le vif désir de partager et de faire goûter.
“Ce que Jésus endura dès son enfance”
Mais parlons de cette fête qu’il imagine pour célébrer la Noël de 1223. Il ne lui reste que trois ans à vivre. Maladie et tristesses endeuillent sa vie. La tentation est grande de tout abandonner mais il connaît alors une rémission. François élabore un scénario haut en couleur dont Thomas de Celano, son fidèle compagnon, fournit le détail.
Il s’agit d’une merveilleuse crèche vivante dont il avait décrit le projet de mise en scène en ces termes : “Je veux évoquer le souvenir de l’Enfant qui naquit à Bethléem et de tous les désagréments qu’il endura dès son enfance; je veux le voir, de mes yeux de chair, tel qu’il était, couché dans une mangeoire et dormant sur le foin, entre un boeuf et un âne.”
La messe est célébrée sur la mangeoire en guise d’autel
François est sensible aux images qu’il juge nécessaire à son théâtre sacré. Pourtant rien n’est plus simple comme dispositif. Tout se passe dans une grotte près de Greccio. Il aura suffit d’y apporter du foin et une mangeoire, d’y conduire un âne et un boeuf.
Une foule nombreuse accoure dans la nuit de Noël en chantant des louanges. François est heureux et profondément ému. Il revêt son vêtement de diacre, chante l’évangile de sa belle voix et prêche en termes très doux. La messe est célébrée sur la mangeoire en guise d’autel.
Seul l’Enfant est là dans le pain et le vin consacrés
Pourtant ni Marie, ni Joseph, pas même l’enfant Jésus ne sont représentés. Pour François, l’Enfant est là dans le pain et le vin de l’eucharistie sur l’autel improvisé. Évidemment, fidèle à la mode franciscaine, le récit de cette nuit est fleuri d’événements merveilleux. Un petit enfant serait même apparu sur la paille de la crèche et François l’aurait serré dans ses bras. On aura surtout retenu, que cette nuit se fit “aussi lumineuse que le jour et aussi délicieuse pour les animaux que pour les hommes” et, ajoute Thomas de Celano, “le prêtre qui célébra ressentit une piété jamais éprouvée jusqu’alors”.
Le théâtre au service d’une expérience de communion
Mais pour l’essentiel retenons la dimension théâtrale de l’événement et surtout la profonde expérience de communion à l’événement historique que désire faire vivre François. En son temps, tout comme aujourd’hui, la Terre Sainte est un territoire occupé et en guerre. À tous ceux qui n’auront jamais la chance d’y aller, de voir et de toucher tous les désagréments de la naissance de Jésus, il donne de prendre conscience que Bethléem est partout, même à Greccio. François dira : “Greccio est devenue une nouvelle Bethléem”.
L’univers des santons : les petits visiteurs
Une profusion d’images envahit les lieux de culte
Répondre à un besoin : celui de voir pour croire. Tel est bien ce à quoi nous conduisent les nombreux chemins qu’emprunte l’histoire de la crèche. Saint François l’avait bien compris.
De même le théâtre liturgique médiéval quand il exploite largement le thème de la Nativité avec ses acteurs et ses figurines ou ses statues animées. Au même moment et dans la même foulée une profusion d’images envahit les lieux de culte.
À titre d’exemple, à Notre-Dame-de-Paris, on peut voir entourant le mur fermant le sanctuaire une véritable bande dessinée à trois dimensions et en couleur. Elle illustre des scènes de la vie de Jésus et de Marie.
On y voit de belles “Nativités” ou le motif de la crèche se répète en variant les angles afin de mettre en scène divers personnages comme les bergers et les mages.
L’art populaire du théâtre de marionnettes
Par ailleurs, parallèlement aux représentations officielles, se développe un art populaire. C’est ainsi qu’à Lyon en France, au début du 19e siècle, existe ce qu’on appelait “La Crèche”. On en a compté jusqu’à cinq. Il s’agit de théâtre de marionnettes dont elle devient même le synonyme. De Noël au Carême on y présente l’histoire de la Nativité avec cependant comme caractéristique de le faire dans un bistrot.
En fait ce sont les “visiteurs” que reçoit la “Sainte-Famille” qui font courir les foules. Toute une faune de savetiers, de gagne-petit, de marchand de saucissons vient y faire son petit numéro tout en se disputant allègrement. Guignol sera de ceux-là, c’est peu dire.
Ce type de théâtre télescope donc une tradition qui se perd dans la nuit des temps. Celle des statues ou statuettes animées, les marionnettes, dont le nom est tout simplement un diminutif de Marie, ce qui en dit long sur leur origine religieuse.
La représentation de la Nativité avec les “santons”
Par ailleurs, si les crèches animées tombent à leur tour dans l’oubli, la représentation de la Nativité poursuit son chemin. Tout en continuant à exploiter la veine des visiteurs à la crèche et leur représentation, se développe la fabrication commerciale de petites figurines en argile peinte. En Provence, on les appelle des “petits saints”, “santouns” en dialecte, ce qui aura donné en français le mot “santons”.
Le Québec a aussi ses santons
Si l’Italie et la France et tout particulièrement la Provence sont riches en ce domaine, le Québec a aussi ses santons. Entre autres, Charlevoix a un santonnier du nom de Bernard Boivin, Louiseville sa santonnière, Madeleine Robillard et Montréal, Suzanne Lavallée.
Entourant le “cœur de crèche” (Marie, Joseph et l’Enfant), les petits personnages se multiplient à la mode Provençale ou comme autrefois dans les crèches animées Lyonnaises : laitières, gigueurs, violoneux, montreurs d’ours, pêcheurs, bûcherons…
“Bethléem à portée de main”
Représentant métiers et professions, ils assurent leur présence et leur proximité symbolique au mystère de la Nativité. Les santons de la crèche constituent une sorte de narration. L’argile raconte leur vie et la dépose au cœur de l’Incarnation. Nous voilà bien dans l’esprit de François d’Assise. Dans le même veine, je connais des crèches familiales où l’on a pris soin de fabriquer et de déposer des petites figurines représentant chacun des membres de la famille. Bethléem est alors à portée de main.
Un bestiaire à la crèche
Notre remontée dans l’histoire nous a conduit à Greccio avec François d’Assise. Sa mise en scène reposait essentiellement sur du foin, une mangeoire et deux animaux, un âne et un boeuf. François savait l’importance du bestiaire dans les Écritures. Il est toujours fascinant d’y suivre un animal à la trace. Il aurait pu apporter des moutons. Ils auraient rappelé le souvenir des bergers dont saint Luc fait explicitement mention.
Malgré le silence des récits de Nativité, il leur préfère un boeuf et un âne car leur présence dans les Écritures est hautement symbolique. Ne retrouve-t-on pas un âne lors de l’entrée triomphale à Jérusalem?
Quant au boeuf, Isaïe nous rappelle que sur la montagne du Seigneur, le lion mangera son fourrage car toute violence aura disparue. Seraient-ils déjà de discrètes allusions à l’ère messianique qui vient?
Me laissant inspirer par la fantaisie franciscaine, il m’arrive d’ajouter un coq à mes crèches. Certains s’en étonnent car il est absent des descriptions évangéliques. Je rétorque aussitôt qu’il en est de même pour l’âne et le boeuf. Mais s’il n’est pas nommément à la crèche, il se retrouve lui aussi ailleurs dans les évangiles.
Pierre ne l’a sans doute pas oublié. Et voilà que sa présence nous invite à voir s’esquisser dans le mystère de Noël, celui de la mort et de la résurrection du Christ. Le monde des animaux dans la Bible est passionnant mais trop peu connu. Pourtant il a fait la fortune des décorateurs d’églises et de François d’Assise.
La nécessaire référence aux Écritures
Mais on l’aura compris, une crèche éloquente part des Écritures et y retourne. Alors pourquoi ne pas déposer près de la crèche un beau livre des Écritures. À nouveau, il redira l’essentiel.