Comme l’Europe, le Québec est confronté au défi d’une nouvelle annonce de l’Évangile. Dans une conférence donnée en Belgique au printemps 2013, le président de l’Équipe Européenne de Catéchèse, Enzo Biemmi, propose des pistes de réflexion et d’action pertinentes pour le Québec.
Enzo Biemmi, Le défi de la première annonce. Une conversion missionnaire de la catéchèse? Revue Lumen Vitae, avril-mai-juin 2013, no 2, pages 215 à 224.
Peu connu au Québec, Enzo Biemmi, est président de l’Équipe Européenne de Catéchèse.
En avril 2013, à Liège en Belgique, il a prononcé une conférence ayant pour thème la conversion missionnaire de la catéchèse associée au défi de la première annonce.
Cela va de soi, son diagnostic est européen, mais sa méthode d’analyse est beaucoup plus large et pourrait nous aider à comprendre le défi de l’évangélisation au Québec, tout comme son recul et même à certains égards, son échec.
Je propose ici quelques réflexions inspirées de sa conférence.
Des situations plurielles
Alors qu’il cherche à brosser un tableau de l’ensemble de la situation européenne, Biemmi propose quatre grands portraits types à partir de quatre situations générées par leur rapport à la transmission de la foi :
- situation de rupture dans la transmission;
- situation de continuité « sociologique »;
- situation de privatisation de la foi;
- situation d’areliogisité pacifique.
Ces quatre modèles situationnels correspondent à des pays types comme la France, l’Italie, l’Union Soviétique et l’Allemagne de l’Est.
Mais rapidement, Biemmi fait observer qu’indépendamment de la géographie, ils sont facilement repérables à l’intérieur de nos paroisses et souvent au sein d’une même famille.
Il se demande alors, laquelle de ces situations serait le plus favorablement rejointe par la surprise de la Bonne Nouvelle. Sans hésiter, il admet que l’areligiosité – ou plus précisément la fin du christianisme dans sa forme sociologique – trace la voie à un christianisme de la liberté et de la grâce.
Or, l’une des difficultés vécues au Québec ne vient-elle pas de ce nous ne soyons pas encore affranchis du christianisme dans sa forme sociologique. Le vif débat entourant le projet de charte de la laïcité dont cherche à se doter l’État Québécois – débat qui vire à la crise – , en est peut-être tout simplement le symptôme. On peine à comprendre que la laïcité n’est pas la liquidation du religieux ou du sacré.
La fin d’un modèle
Quand dans la foulée du Concile de Trente on comprit que l’espace liturgique n’était plus catéchétique, on développa un lieu parallèle pour la transmission de la foi. Ce fut celui de la catéchèse dont la tâche est de communiquer et de réguler les connaissances de la foi chrétienne. En fait, il faut ici parler de « catéchisme » et bien comprendre qu’il a comme mandat premier de s’adresser aux enfants et de les préparer à bien recevoir les sacrements.
Ce modèle de communication de la foi repose sur la cohésion de trois lieux : la famille, l’école et la paroisse. Il a pour toile de fond ce que le sulpicien lyonnais Joseph Colomb appelait le catéchuménat social donnant à entendre que c’est la culture ambiante qui agit comme premier transmetteur. Or, au Québec, cette dernière ne transmet plus la foi et l’harmonieuse triade famille-école-paroisse est chose du passé.
Pourtant le modèle de communication de la foi est demeuré le même. On s’adresse encore prioritairement aux enfants avec pour souci premier de les initier aux sacrements en reléguant au second plan – quand elle n’est pas simplement oubliée – la dimension même de la pratique. Il n’est que de penser au vocabulaire si largement employé. N’a-t-on pas pour souci premier de préparer à la « première » communion alors qu’en réalité il s’agit d’initier à la pratique de l’eucharistie…
Certes dans le discours officiel le modèle catéchuménal tend à s’imposer. En font foi les assises tenues à Cap Rouge en octobre 2011 à l’invitation des évêques francophones du Canada. Mais je ne suis pas convaincu qu’on prend toujours la juste mesure des déplacements à opérer dont le premier vise le passage aux adultes et le deuxième la priorisation de la vie chrétienne dont la pratique sacramentelle est un vecteur.
Où est le problème?
L’échec apparent de la transmission de la foi est pour plusieurs un problème catéchétique. Pourtant, que ce soit en Europe ou ici au Québec, ce ne sont pas les efforts ni la créativité qui ont fait défaut. Par ailleurs la critique s’est parfois faite acerbe. N’a-t-on pas entendu au coeur du renouveau catéchétique des remarques du genre : « On n’enseigne plus rien aux enfants. Ils font du découpage, du collage et du coloriage… ».
En fait, la difficulté est ailleurs, en amont. Le diagnostic de Biemmi est clair : L’erreur que nous avons commise est bien d’avoir cru qu’il s’agissait d’un problème catéchétique, alors que le problème est ecclésiologique.
C’est ici que le bât blesse. La culture ambiante n’est plus au rendez-vous et les paroisses – du moins au Québec – ne se redéfinissent bien souvent qu’en termes de regroupement plus ou moins arbitraires. N’est-il pas alors nécessaire de questionner non pas d’abord la catéchèse elle-même cet outil précieux et nécessaire, mais plutôt l’Église dans sa manière d’être, d’entretenir et de transmettre la foi?
Des changements de direction
Comme en Europe, le paysage québécois n’est plus ce qu’il était. Ce n’est qu’à grand peine, que parvient à émerger une certaine unanimité autour de valeurs fondamentales.
Des lieux de cohésions et de transmission sont alors plus précieux et davantage nécessaires. Traditionnellement ils ont existé dans l’Église et sont toujours là. Ce sont nos paroisses, mais encore faut-il qu’elles se convertissent. Pour y arriver, Enzo Biemmi suggère trois déplacements majeurs qui ont le mérite de remettre aux premières loges une dimension fondamentale de la réalité ecclésiale.
Passer d’une paroisse de l’entretien à une communauté missionnaire
Pour Biemmi, ces mots ont toute leur importance. Or ils trouvent au Québec une résonnance particulière. Ils soulèvent la délicate question de la communauté, de la nécessité d’une véritable communauté d’accueil et de cheminement.
La situation de chrétienté que nous avons connue ici, nous a comme dédouanés de l’obligation d’en soigner la réalité. Nous nous retrouvons héritiers d’un modèle communautaire – paroissial faudrait-il dire plus correctement – dont le souci premier a été de fournir un encadrement plutôt qu’un accompagnement. Ne sommes-nous pas les victimes d’une pernicieuse confusion entre paroisse et communauté?
Quant à la dimension missionnaire, elle évoque des communautés qui proposent la foi par le témoignage, la parole et l’immersion dans un tissu de vie communautaire. Voilà bien un langage et des préoccupations loin des conversations entendues dans la plupart de nos conseils de pastorale.
Passer d’une initiation aux sacrements destinée aux petits à une « initiation à la vie chrétienne par les sacrements »
La démarche proposée est toute autre. Le virage est radical. Il s’agit ici d’une véritable approche catéchuménale, où la catéchèse est comprise comme un cheminement, intense et graduel qui permette d’offrir un cadre ecclésial où la communauté devient une référence effective.
Passer d’une catéchèse d’enseignement à une parole qui accompagne le commencement et le recommencement
Évidemment, un déplacement s’est déjà opéré. La préoccupation en catéchèse est d’abord celle du « je crois » plutôt que celle du « je sais ». Mais est-ce que la doctrine fait place à la vie chrétienne au sens ou elle cherche à aider les chrétiens à découvrir que tous les éléments (doctrine, rites, normes) de leur foi touchent leurs besoins de vie et comblent leur recherche?
Par ailleurs – et c’est majeur – tout cela repose essentiellement sur une communauté et Biemmi tire une conclusion incontournable pour l’Europe comme pour le Québec. Si la situation nouvelle induit une nouvelle catéchèse, elle demande une nouvelle communauté.
Elle devient donc la pierre angulaire de tout projet d’évangélisation et plus particulièrement de la « nouvelle évangélisation ».
Première et deuxième annonce
Biemmi prend cependant soin de bien définir les termes ce qui permet de mieux cerner les clientèles visées. Il distingue première et deuxième annonce. Il résume ainsi son propos : La première annonce est l’annonce de l’Évangile à ceux et celles qui ne l’ont jamais entendu; la deuxième annonce est l’annonce de l’Évangile à ceux et celles qui l’ont mal reçu.
C’est dans cette perspective que Jean-Paul II introduit en 1979 son concept de « nouvelle évangélisation ». Il avait déclaré, il était alors en Pologne : Le temps est arrivé d’une nouvelle évangélisation, d’une seconde annonce, même si l’Évangile demeure toujours le même.
Mais soyons réaliste, cette deuxième annonce est beaucoup plus ardue qu’une première parce qu’il faut comme désapprendre avant d’apprendre pour se débarrasser de bien des blocages générés par tant d’images négatives de l’Église, d’une morale étriquée ou de visions déformées de Dieu.
Dans ce contexte, Biemmi propose d’inverser le discours. Il invite la catéchèse à passer de l’ordre de l’exposition à l’ordre de la découverte. Il donne comme exemple la récitation du credo, cette suite logique d’affirmations de vérités de foi qui se conclue par un amen communautaire. Cet amen est pour lui déterminant. Il traduit une expérience ecclésiale, celle d’un corps qui fait voir, entendre et toucher la foi qui est sienne. Quand Biemmi propose une voie inverse, il suggère que le point de départ de l’annonce – première ou deuxième – soit celle de cet amen, c’est-à-dire, celle du témoignage et de la vie de la communauté, une communauté devenue missionnaire.
La conversion missionnaire
Mais comment faire, questionne Biemmi? Vers où aller? Certes pour lui, la solution est double. Elle s’appelle la conversion missionnaire des communautés et l’inversion de la logique catéchétique. Mais tout cela ne concerne pas d’abord les croyants de traditions différentes ou les non-croyants, cette conversion nous concerne tous d’abord. Il conclut ainsi sa conférence :
Toutes nos analyses, aussi lucides qu’elles soient, ne peuvent se réduire à une stratégie. La nouvelle évangélisation ne propose pas une nouvelle stratégie, mais une nouvelle découverte de la foi de la part de l’Église elle-même. Elle doit être formulée comme « une question de l’Église sur elle-même » (Instrumentum Laboris Synode sur la nouvelle évangélisation).
La deuxième annonce renvoie l’Église à une deuxième écoute : « Je la conduirai au désert et je parlerai à son coeur » (Os 2:16)
Et pourquoi le désert québécois ne serait-il pas appelé à devenir celui d’Osée?