Le Christ païen

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Ésotérisme et christianisme


8 avril 2005


Une opinion critique sur le livre de Tom Harpur intitulé « Le Christ païen ».

L’ésotérisme a toujours fait partie du paysage religieux et se caractérise par une multitude de tendances; certains de ses courants ont tenté de se greffer à la foi en Jésus-Christ. Le Christ païen de Tom Harpur, paru aux Éditions Boréal en 2005, est une des dernières manifestations de cette école. En voici une opinion critique.

Le livre de Tom Harpur, Le Christ païen (Boréal, 2005), pose de sérieux problèmes d’interprétation biblique. L’auteur veut prouver que le Jésus de l’histoire n’a tout simplement pas existé et que « toute la doctrine chrétienne n’est rien d’autre qu’un égyptianisme retapé et mutilé (p. 34) » et que « Jésus était et demeure le symbole dramatique suprême de la divinité qui réside en chacun de nous » ou encore, « du Christ intérieur en nous ».

Je me permets de donner mon opinion sur le contenu de ce livre. Je ne suis pas infaillible, bien sûr, mais, comme exégète, j’ai une certaine compétence en la matière. Je ne me prononce pas ici en raison de ma foi chrétienne, mais à la lumière des sciences bibliques.

Dieu intérieur

Paysage "Nouvel Âge"Au plan positif, ce livre donne une bonne idée de la spiritualité ésotérique et cosmique à la mode actuellement. Il en est souvent question dans Le Christ païen (cf. p. 231-254). Cette spiritualité ou cette foi en un Christ intérieur ne m’est certes pas inconnue.

D’ailleurs la plupart des spiritualités et des religions évoquent l’idée d’un Dieu ou d’un être suprême qui habite le cœur humain. Les religions anciennes en ont bien sûr parlé, de même que les philosophes grecs et romains, dont Épictète vers 100 après J.-C.) qui proclame : « Toi, tu es un fragment de Dieu; tu es toi-même une partie de Dieu ». 

Ce n’est donc pas nouveau, mais ce qui est nouveau, c’est de parler d’un Christ intérieur dans le sens ésotérique. La théorie d’Harpur se marie sans doute bien avec certaines spiritualités actuelles qui sont décrochées de toute religion, telles les spiritualités dites laïques.

Croyance ésotérique

Je respecte donc l’opinion de Harpur, ou plutôt sa foi. Car il s’agit bel et bien d’une croyance ou d’une foi qu’il veut proclamer. Il a le langage d’un véritable missionnaire. Il veut que le Christ intérieur puisse « nous donner le courage de voir et de vivre la vérité » (p. 254). Mais quelle vérité? Celle de l’auteur, sans doute. Mais le problème, c’est qu’il coupe la branche sur laquelle il est assis.

En niant aux Évangiles toute assise historique, il détruit la crédibilité du christianisme. Sa spiritualité est ésotérique et cosmique; elle n’a rien d’une spiritualité chrétienne. Une spiritualité chrétienne croit en un Dieu à la fois immanent (en nous) et transcendant (au delà de nous). Ce n’est pas là, semble-t-il, la foi de cet ancien pasteur anglican devenu journaliste. 

Fondement scientifique fragile

Harpur a certes l’habileté d’un journaliste, il ne manifeste aucune compétence dans le domaine exégétique; c’est évident pour tout lecteur spécialisé dans le domaine.

Il est entièrement dépendant de A.-B. Kuhn, un auteur ésotérique américain qui ne fut pas suivi par les exégètes et historiens de son temps. Harpur tente de le ressusciter… Il s’appuie de façon secondaire sur 2 autres auteurs soit G. Higgins et G. Massey, tous 2 rejetés par leurs contemporains. Harpur est l’homme de 3 auteurs. Ou plus précisément, il est le vulgarisateur de Kuhn. C’est mince au plan scientifique.

Parti pris idéologique

Dommage qu’Harpur se soit employé à discréditer les Évangiles et le Jésus de l’histoire! Il aurait été plus crédible s’il s’était contenté de nous exposer sa spiritualité ésotérique et cosmique. Il est un idéologue qui veut à tout prix prouver sa théorie en se servant des textes égyptiens et de la Bible.

Il me rappelle la théologie de 1940 qui se servait de la Bible pour essayer de prouver les dogmes au lieu d’étudier les textes bibliques pour eux-mêmes. Heureusement, on n’en est plus là.

Exégèse authentique

Étude de mains et bibleL’exégèse biblique est une science qui s’appuie sur plusieurs autres sciences, comme l’archéologie, la linguistique, l’histoire, la sociologie, etc

En exégèse, on recourt actuellement à différentes méthodes : historico-critique, sociologique (sociologie des religions), structurale, sémiotique, narrative, rhétorique, féministe, etc. Ces méthodes sont complémentaires. Une exégèse ésotérique? C’est du nouveau dans le paysage de l’exégèse actuelle.

De plus, Harpur enfonce une foule de portes ouvertes :

  • On sait depuis quelques décennies que les textes bibliques au sujet d’Abraham, Isaac et Jacob ont très peu de crédibilité historique; mais telle n’était pas leur visée.
  • On sait aussi que David et Salomon furent des roitelets qui sont devenus grands et importants au moment de la rédaction de certains textes les concernant (environ au temps de l’exil à Babylone, de 597 à 538).
  • Les textes sur la naissance et l’enfance de Jésus (les chapitres 1 et 2 de Matthieu et Luc) sont plutôt midrashiques (récits explicatifs) et n’ont pas toujours de fondement historique.
  • L’Évangile de Jean est très symbolique et il est difficile d’apprécier la trame historique à la base du récit.

Mais il y a d’autres textes du Nouveau Testament, comme les Évangiles de Marc, Matthieu et Luc, les Actes des Apôtres et les épîtres de Paul, Pierre, Jacques, Jean. Tous les textes évangéliques ont été écrits dans une perspective catéchétique : ce ne sont pas des biographies ou des textes historiques au sens moderne du mot. Mais de là à leur nier tout fondement historique, c’est une autre affaire.

Selon toute vraisemblance, les textes du Nouveau Testament ont été rédigés entre l’an 50 et l’an 110. Ce ne sont pas les Pères des 3ème ou 4ème siècle qui les ont rédigés ou déformés, comme le laisse entendre Harpur… De plus, on distingue bien le Jésus de l’histoire, qui est scruté par les historiens, et le Christ, fils de Dieu, qui est objet de la foi.

Le Christ crucifiéJésus a existé

Au sujet de l’existence du Jésus de l’histoire, 4 auteurs non chrétiens l’attestent vers les années 75-100 : Pline le Jeune, Tacite et Suétone, de même qu’un historien juif, Josèphe.

Aujourd’hui même les exégètes très critiques du « Jesus Seminar » qui ne retiennent comme historique qu’un petit noyau des 4 Évangiles ne contestent nullement l’historicité de l’existence de Jésus.

Jésus, une divinité égyptienne?

L’auteur fait des rapprochements entre Horus et Jésus, parmi d’autres. Il essaie d’établir des concordances entre les 2, souvent de façon forcée, arbitraire sinon fantaisiste.

Pour ceux qui ne connaîtraient pas Horus, c’est un dieu égyptien, fils d’Osiris et d’Isis; il est l’une des divinités solaires; il est souvent représenté par un faucon, ou par un homme à tête de faucon portant le disque solaire. Voyez-vous beaucoup de ressemblances avec Jésus de Nazareth? 

HorusQuel fabriquant de mythes aurait essayé de dépeindre Jésus tout en l’accusant d’être « un ivrogne, un glouton et un ami des collecteurs d’impôts et des pécheurs »? (Mt 11,19).

Pas très brillant pour la figure du héros mythique auquel Harpur voudrait nous faire croire! Il y a certes de tout dans les religions anciennes.

Dire qu’il y a plagiat parce qu’on décèle certaines ressemblances extérieures, c’est charrier! Il y a eu, d’accord, des influences culturelles et parfois des emprunts, quitte à ce qu’on les ait transformés dans une perspective évangélique pour livrer un message concordant avec les paroles et les gestes de Jésus.

Saint Paul et le Christ

À propos de l’Apôtre Paul, il y a bien 3 récits de sa conversion et non pas seulement 2 comme l’affirme l’auteur. Il est vrai, par ailleurs, que Paul parle peu de la vie de Jésus de Nazareth.

Il ne cite que 4 faits précis de cette vie : sa naissance qui le fait homme (Ga 4,41) et descendant de David (Rm 1,32), le dernier repas pris avec ses disciples (1 Co 11,23-273), sa mort sur la croix (Ph 2,84) et sa résurrection (1 Co 15,3-45). Notons que Paul a commencé à rédiger ses lettres vers 50-52, bien avant la rédaction du premier Évangile, celui de Marc (vers 65-70).

La conversion de l'apôtre PaulMême s’il n’a jamais rencontré le Nazaréen, il a reçu le témoignage de Pierre lors d’une visite à Jérusalem, puis il a séjourné quelque temps dans la communauté chrétienne d’Antioche.

Pas de doute toutefois dans l’esprit de Paul, il a vraiment rencontré le Ressuscité, ou plutôt, le Christ ressuscité s’est fait voir à lui (1 Co 9,16).

Remarquons que la prédication de Paul auprès des Corinthiens n’a pas commencé par la résurrection : « Je n’ai rien voulu savoir d’autre avec vous que Jésus-Christ, et Jésus crucifié » (1 Co 2,2). Comment Harpur peut-il alors en arriver à la conclusion que le Christ qu’évoque Paul n’était pas Jésus de Nazareth, mais « le Christ mystique connu à travers les âges, le Christ dit païen… »? (Page 227) Cette théorie ésotérique de l’auteur n’est tout simplement pas crédible.

Il y aurait bien d’autres remarques à faire sur les multiples affirmations gratuites de cet auteur. Je terminerai en disant que j’admire la foi candide et combative de Tom Harpur, mais je déplore son manque de rigueur scientifique, même pour sa propre démonstration, ainsi que sa méconnaissance des résultats de la recherche exégétique des 100 dernières années.

  1. 4:4 Mais, quand est venu l’accomplissement du temps, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme et assujetti à la loi
    (TOB)

  2. 1:3 concerne son Fils, issu selon la chair de la lignée de David
    (TOB)

  3. 11:23 En effet, voici ce que moi j’ai reçu du Seigneur, et ce que je vous ai transmis: le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain,
    11:24 et après avoir rendu grâce, il le rompit et dit: “Ceci est mon corps, qui est pour vous, faites cela en mémoire de moi.”
    11:25 Il fit de même pour la coupe, après le repas, en disant: “Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang; faites cela, toutes les fois que vous en boirez, en mémoire de moi.”
    11:26 Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.
    11:27 C’est pourquoi celui qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement se rendra coupable envers le corps et le sang du Seigneur.
    (TOB)

  4. 2:8 il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix.
    (TOB)

  5. 15:3 Je vous ai transmis en premier lieu ce que j’avais reçu moi-même: Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures.
    15:4 Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures.
    (TOB)

  6. 9:1 Ne suis-je pas libre? Ne suis-je pas apôtre? N’ai-je pas vu Jésus, notre Seigneur? N’êtes-vous pas mon œuvre dans le Seigneur?
    (TOB)

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