Il est des temps et des lieux où il n’est pas toujours possible de se nourrir de l’eucharistie. L’occasion est belle alors de redécouvrir la Parole de Dieu, lue, proclamée, méditée, d’en faire sa nourriture et de se mettre à l’écoute de CELUI qui parle.
Comme une épée
Belle et incisive! Au chapitre quatrième de la lettre aux Hébreux, l’auteur a ces mots admirables pour évoquer la parole de Dieu :
Elle est vivante la parole de Dieu,
énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants;
elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit,
des jointures et des moelles;
elle juge des intentions et des pensées du cœur. (Hé 4,12)
En méditant ce verset, le sociologue et théologien Fernand Dumont disait que la Bible n’est pas que la parole de Dieu, sa simple identification matérielle. Dieu se donne à entendre dans la Bible.
La nuance est de taille. Littéralement, Dieu y parle.
Si les textes de la parole que nous avons en main sont l’incarnation bien concrète de la Révélation de Dieu, pour nous chrétiens, au cœur de cette parole loge un mystère, le mystère même de Jésus, Christ, Verbe incarné, Parole faite chair.
On ne peut taire la beauté de cette Parole. Celle qu’on écrit avec un grand P, la Parole de Dieu va sans dire.
Mais pour la trouver belle avec un goût de miel à la manière du prophète Ézéchiel (Ez 3,1-3), il faut l’avoir croisée sur sa route, s’en être nourri, même si parfois elle n’est pas que douceur et peut se faire amère, l’avoir laissée pénétrer jusqu’au plus profond de son être comme cette épée à deux tranchants.
Au cœur d’une rencontre
Concrètement, elle loge au cœur d’une rencontre.
Rencontre entre les textes de nos Bibles ou de nos lectionnaires et la lecture personnelle que j’en fais ou leur audition dans le cadre d’une célébration suite à une proclamation.
Dans la lecture personnelle, Dieu parle dans le secret du cœur, dans la célébration il se donne matériellement à entendre par la voix du lecteur.
Mais c’est toujours le même Dieu qui parle et voilà bien le premier émerveillement de la rencontre qui se joue entre écriture et parole.
Un double rapport au texte
La communauté à laquelle j’appartiens a été fondée en 1831 par le vénérable Louis Querbes.
Il avait choisi pour l’inspirer la figure d’un jeune clerc ayant vécu au 4e siècle. Son nom est Viateur. Sa fonction était celle de lecteur. Depuis, cette figure ne cesse de nous guider.
Or que fait un lecteur? Soit il lira pour lui dans le secret de sa chambre ou d’une bibliothèque, soit il lira pour d’autres en proclamant haut et fort le texte qu’il a devant lui, en dé-livrant les paroles qu’il contient.
Un lecteur entretient donc un double rapport au texte écrit. C’est ce qu’expérimentait Viateur.
D’un côté, il communiait à la beauté de la Parole en la goûtant pour lui-même. À ce titre il se faisait disciple. De l’autre, en la partageant par son service liturgique, il devenait disciple missionnaire.
La rencontre qui s’effectue entre écriture et parole n’a jamais fini d’étonner et peut-être de réveiller les petits Viateur qui sommeillent en chacun de nous.
Beauté pour l’oreille et pour l’œil
Si la parole prend tout son éclat dans la proclamation – c’est bien le propre d’une parole d’être entendue avant d’être lue – le graphisme même d’un texte écrit n’est tout de même pas sans beauté.
Si l’on connaît la majesté des manuscrits médiévaux et de leurs enluminures, les artistes contemporains ne sont pas en reste. J’en connais deux dont la contemplation passe par la matérialité du texte.
Levy Azouday
Un premier, Levy Azouday est un artiste juif vivant au Maroc. Il crée de fascinantes lithographies comme cette image illustrant un épisode de la vie de Noé.
L’artiste a utilisé la graphie du texte hébraïque pour construire son dessin. Le récit écrit est là et tout à la fois façonne l’image. La parole se donne littéralement à voir.
Simon Bertrand
Un autre artiste, québécois celui-là, Simon Bertrand avec une patience toute monastique élabore une œuvre fascinante essentiellement constituée d’une reproduction méticuleuse de textes sur une toile à l’aide d’une plume à fine pointe. Une approche qu’il développe depuis quelques années. C’est ainsi qu’il s’est attaqué à la transcription littérale de la bible publiée chez Bayard.
Quand je l’ai rencontré à Baie-Saint-Paul en 2014 dans le cadre du symposium d’art contemporain, la toile s’étendait sur plusieurs mètres de long. L’œuvre progressait à petits pas.
Elle permettait déjà de porter un regard enveloppant sur presque l’ensemble de la bible, non pas à la manière d’un libre fermé posé sur une table, mais en s’étalant là, devant nos yeux, dans son entièreté. La parole écrite devenait œuvre d’art avec une indéfinissable envie de s’y plonger.
Inépuisable beauté de la Parole, lue, proclamée, entendue et contemplée du regard!