Une rencontre qui change tout

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L’aveugle Bartimée


25 octobre 2012


Dans le récit de « l’aveugle Bartimée », l’Évangéliste Marc raconte comment la rencontre avec Jésus est source de guérison et de transformation.

Introduction

Bible et télévisionChaque jour nous sommes bombardés d’images de toutes sortes. Nous appartenons à l’ère du « visuel ». Quiconque veut réussir ou percer doit nécessairement travailler son « image »!

Heureuse coïncidence, la Bible est le monde de l’image par excellence; ses récits viennent d’un peuple de conteurs, issus d’une culture de tradition orale. Pour pénétrer dans l’univers biblique, il faut apprendre à « voir » autant qu’à écouter les récits. Or, souvent à notre insu, nous nous sommes habitués à cette méthode de « voir et écouter » en même temps puisque nous regardons régulièrement des films ou des téléromans.

C’est pourquoi, je suggère cette approche pour plusieurs récits évangéliques. Le principe de base est simple : écouter et voir le récit qui se déroule sous nos yeux de la même façon qu’on regarderait un télé-roman! Pour les besoins de la cause, le récit de l’aveugle Bartimée devient un épisode du feuilleton « Évangile de Marc ».

Mise en situation

Mendiant- AveugleL’aveugle de Jéricho : une guérison en 4 actes
Mc 10,46-521

Rédacteur : Marc
Livret : Évangile
Personnages : Jésus, les disciples, la foule, Bartimée
Action : Demande de guérison par un mendiant à un thaumaturge itinérant charismatique.

Décor

La scène se passe dehors en Judée, à la sortie de Jéricho. Jésus, le personnage principal du feuilleton de Marc, s’apprête à emprunter la route reliant Jéricho à Jérusalem (25 km), entouré de ses disciples et de la foule. Le héros du jour Bartimée, aveugle et mendiant de métier, est « assis sur le bord de la route » espérant que les passants lui donnent une obole.

Qu’y a-t-il à voir dans ce récit?

Bartimée l’aveugle ne voit rien mais il entend. C’est pourquoi il distingue bientôt les bruits de la foule qui s’approche : conversations, rires, murmures, enfants qui jouent et gambadent. « Assis sur le bord du chemin en train de mendier », il s’informe : « qu’est-ce qui se passe? » On lui répond : « C’est Jésus le Nazaréen qui sort de Jéricho et s’en va vers Jérusalem ».

L’aveugle se met alors à crier, « Fils de David, aie pitié de moi ». Mais c’est fatigant d’entendre crier quelqu’un comme un perdu, qui ne sait pas tenir sa place. Alors Marc rapporte : « Beaucoup le menaçaient » pour le faire taire. « Mais il criait de plus belle ». Pire, il osait même l’interpeller comme fils de David : « Fils de David, aie pitié de moi ». C’est là que Jésus semble l’entendre.  S’arrêtant, Jésus dit : « Appelez-le ». Et on l’appelle et on lui dit : « Courage! Debout! Il t’appelle! ».

Il accourt malgré sa cécité. Il cherche d’instinct à se tourner vers le lieu de la voix qui a dit de l’appeler. Ses yeux sont morts, son regard est vide. C’est évident qu’il ne voit rien. Pourtant, s’adressant à lui, spécifie Marc, Jésus dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi? » « … que je recouvre la vue ».

L’écoute

Personne seuleJésus, la foule et les disciples marchent sur le chemin. Bartimée est assis sur le bord de ce chemin. Il ne fait pas partie du monde. Il en est exclu car il est l’autre, le différent. À cause de cela, il ne peut être en marche. Il est en arrêt. Il est en dehors. Il n’est pas sur le chemin, mais au bord…

Il est là, non pas à regarder mais à écouter passer le convoi, incapable de se joindre à lui. Il est disjoint du groupe. La vie passe devant lui mais il ne peut la saisir, car il est dans les ténèbres : il ne voit pas, il ne voit rien! Pour lui, tout est danger et en même temps, il est danger pour les autres parce qu’il est impur. Malgré lui, il ne peut s’intégrer. Cela aussi, c’est une noirceur…

Bartimée crie

Aveugle qui crieÉtant en danger, il fait la seule chose qui lui reste encore possible : crier. Bartimée crie à pleins poumons. « Il se mit à crier », ce qui veut dire qu’il n’a pas seulement parlé ou murmuré; c’est un appel « au secours  » et pas à n’importe qui, au Fils de David, c’est-à-dire au Messie attendu d’Israël : « Fils de David, Jésus, aie pitié ».

Il devient dérangeant mais aussi menaçant par son interpellation. Comment ose-t-il qualifier le Nazaréen de ce titre, lui qui ne voit rien? Serait-il plus futé, plus compétent que les savants rabbins et docteurs qui ne manquent pas en Israël, surtout en plein cœur de la Judée tout près de Jérusalem? Et puis comment ose-t-il aborder le thaumaturge et prophète Jésus, lui l’impur, le pouilleux? Ses disciples qui ont reçu l’ordre de ne pas l’appeler ainsi (Mc 8,27-30)2, ne sont certainement pas contents!

Alors dit Marc, « beaucoup le menaçaient pour qu’il se taise ». Mais l’énergie du désespoir, l’heure de la dernière chance, la certitude que lui seul peut être sa bouée de sauvetage le poussait à crier de plus belle « Fils de David, aie pitié de moi »! Plus rien ne peut l’arrêter car ce Jésus est sa planche de salut!

Le silence

Personne avec yeux closAlors Jésus qui l’a entendu, s’arrête et dit : « Appelez-le ».

On a l’impression subitement de pouvoir entendre voler une mouche. Comme si au milieu du tintamarre, un silence de plomb était subitement tombé. Sinon… comment expliquer ce revirement subit de l’entourage de Jésus? Comment interpréter ce changement de conduite?

On appelle l’aveugle et on lui dit : « Courage! Debout! Il t’appelle! ». Comme c’est curieux! Du courage? Il en avait eu pourtant. C’est lui qui persistait à crier malgré leurs menaces. Qu’est-ce que cela veut dire? Pourquoi Marc rapporte-t-il ces mots? À quoi fait-il allusion?

De quel courage peut-il s’agir?

  • Celui de faire face aux purs, à la foule, au monde en face de lui, monde dont il est exclu? Mais il l’a déjà fait en persistant à crier.
  • Serait-ce de se mettre debout, lui qui est assis depuis si longtemps? Peut-être.
  • Ou encore serait-ce de répondre à l’appel? N’était-ce pas ce qu’il voulait, attirer l’attention de Jésus et se faire remarquer par lui?
  • Mais serait-ce différent de se faire appeler plutôt que de se faire remarquer?
  • Et qui se cache derrière cette interpellation de courage face à l’appel? Marc, les disciples ou les chrétiens de la communauté de Marc, c’est-à-dire nous aujourd’hui?

La réponse à l’appel

« Rejetant son manteau, il se leva d’un bond et vint vers Jésus ».

Accueil de BartiméeSon manteau, c’est tout ce qu’il a, c’est son unique bien et les nuits sont froides en Israël. Mais pour aller plus vite, pour ne pas s’enfarger, il se dépouille de son manteau. Or le manteau est un bien si précieux qu’une règle interdit à tout prêteur d’enlever le manteau à celui qui lui doit (Dt 24,13)3. Qu’est-ce que cela veut dire ici, dans ce contexte? Pourquoi Marc attire-t-il notre attention là-dessus?

Un homme « assis au bord du chemin » se lève debout et se met en marche sur le chemin à l’appel de Jésus. Et pourtant il ne voit encore rien… Seule l’espérance ou la confiance en Jésus le met debout, le met en marche, le met sur le chemin.

Jésus dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi? » Étrange question! C’est pourtant visible ou évident qu’il doit vouloir voir! Pourquoi lui poser cette question?

  • Serait-ce la façon de Jésus de respecter sa personne?
  • De respecter sa liberté?
  • De l’amener à dire son désir, son choix?
  • De renvoyer Bartimée à sa responsabilité de verbaliser son besoin?

En tout cas, il répond : « Rabbouni, que je recouvre la vue! », voilà son désir le plus cher! (On sait aujourd’hui qu’il y avait beaucoup d’aveugles à cette époque à cause d’une multitude d’infections et de maladies d’yeux causées par différents moustiques ou bactéries).

RegardIl veut donc recouvrer la vue, recouvrer un bien perdu et pas n’importe lequel! Bien qui lui permettrait à nouveau de voir, d’avoir la lumière, de discerner, de travailler, d’appartenir au corps social, économique et religieux. Devant pareille détermination, devant cette foi confiante, Jésus s’écrie : « Va, ta foi t’a guéri/sauvé ». Curieusement Jésus n’a prononcé aucune parole pour le guérir. Au contraire, il lui confirme que c’est sa foi à lui qui l’a guéri/sauvé; en grec, le verbe utilisé par Marc (sôzein) veut d’abord dire guérir et par extension sauver.

C’est d’une logique implacable : guérir, c’est être sauvé d’un mal qui nous atteint et nous perturbe. La guérison est un salut. Retrouver la santé, c’est retrouver le chemin de la vie et un état de vie fonctionnel.

Ici le salut, c’est le Règne de Dieu arrivé jusqu’à Bartimée, la proximité de Dieu qui a tout changé, qui a tout fait basculer.

Conclusion

Changement

Quand j’écoute ce récit et que je regarde aller les personnages, je « vois » une transformation impressionnante s’opérer chez une personne appelée Bartimée. Une transformation due à sa rencontre avec quelqu’un du nom de Jésus de Nazareth.

Par la foi

Jésus, Bartimée et les disciplesOn sait qu’il y avait beaucoup d’hommes appelés Jésus à cette époque; mais « le Jésus » de notre récit n’est pas n’importe lequel. C’est celui que Bartimée a invoqué comme étant « Fils de David, Jésus », c’est-à-dire le Messie attendu, celui qui avait reçu l’onction pour redonner la vue aux aveugles (Lc 4,16-21)4. Sa foi en ce Jésus a enclenché et déclenché chez-lui tout un processus de « faire(s) » jusqu’à un déplacement de personne équivalent dans le contexte à un déplacement de montagne pour aboutir à une guérison.

Maintenant Bartimée voit : il a d’abord reconnu par l’écoute le « Fils de David, Jésus », il a hurlé après lui, il s’est fait entendre et appeler; et puis il s’est mis debout, a demandé/imploré et alors la lumière a jailli. Il s’est mis à distinguer, à voir. Maintenant il voit; il est pur de son infirmité/ impureté parce qu’il a été guéri.

Dorénavant, il peut marcher sur le chemin de la vie sans danger, vivre avec et parmi le monde, travailler, être accueilli à nouveau par tous ou chez tous et aller à la synagogue sans gêne ou sans peur. Il peut enfin vivre pleinement.

Suivre Jésus

« Et il le suivait sur le chemin », nouveau chemin, chemin neuf. Chemin imprévu. Parcours nouveau pour lui et nouveau parcours de vie. Marc nous rappelle que Bartimée se met à suivre Jésus sur le chemin qui mène à Jérusalem. Dorénavant il va l’accompagner mais contrairement à beaucoup, il sait vraiment qui est l’homme qu’il suit. Il l’a reconnu et Jésus ne l’a pas fait taire.

Il y a de grosses chances qu’à Jérusalem, au lieu de crier avec la foule un certain vendredi, il sera celui qui s’opposera à la condamnation. Au lieu de crier « crucifiez-le », il se taira douloureusement sachant que cet homme est bien le « choisi » de Dieu, celui qui a reçu l’onction pour redonner la vue aux aveugles!

  1. Mc 10,46-52
    10:46 Ils arrivent à Jéricho. Comme Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une assez grande foule, l’aveugle Bartimée, fils de Timée, était assis au bord du chemin en train de mendier.
    10:47 Apprenant que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier: “Fils de David, Jésus, aie pitié de moi!”
    10:48 Beaucoup le rabrouaient pour qu’il se taise, mais lui criait de plus belle: “Fils de David, aie pitié de moi!”
    10:49 Jésus s’arrêta et dit: “Appelez-le.” On appelle l’aveugle, on lui dit: “Confiance, lève-toi, il t’appelle.”
    10:50 Rejetant son manteau, il se leva d’un bond et il vint vers Jésus.
    10:51 S’adressant à lui, Jésus dit: “Que veux-tu que je fasse pour toi?” L’aveugle lui répondit: “Rabbouni, que je retrouve la vue!”
    10:52 Jésus dit: “Va, ta foi t’a sauvé.” Aussitôt il retrouva la vue et il suivait Jésus sur le chemin.
    TOB

  2. Mc 8,27-30
    8:27 Jésus s’en alla avec ses disciples vers les villages voisins de Césarée de Philippe. En chemin, il interrogeait ses disciples: “Qui suis-je, au dire des hommes?”
    8:28 Ils lui dirent: “Jean le Baptiste; pour d’autres, Élie; pour d’autres, l’un des prophètes.”
    8:29 Et lui leur demandait: “Et vous, qui dites-vous que je suis?” Prenant la parole, Pierre lui répond: “Tu es le Christ.”
    8:30 Et il leur commanda sévèrement de ne parler de lui à personne.
    TOB

  3. Dt 24,13
    24:13 Tu devras lui rapporter son gage au coucher du soleil; il se couchera dans son manteau et te bénira; et devant le SEIGNEUR ton Dieu tu seras juste.
    TOB

  4. Lc 4,16-21
    4:16 Il vint à Nazara où il avait été élevé. Il entra suivant sa coutume le jour du sabbat dans la synagogue, et il se leva pour faire la lecture.
    4:17 On lui donna le livre du prophète Ésaïe, et en le déroulant il trouva le passage où il était écrit:
    4:18 L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté,
    4:19 proclamer une année d’accueil par le Seigneur.
    4:20 Il roula le livre, le rendit au servant et s’assit; tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui.
    4:21 Alors il commença à leur dire: “Aujourd’hui, cette Écriture est accomplie pour vous qui l’entendez.”
    TOB

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