Le livre de Job aborde la question de Dieu et de la souffrance humaine. Le bibliste Walter Vogels propose son analyse de ce texte dans cet ouvrage.
WALTER Vogels, Job, l’homme qui a bien parlé de Dieu, Cerf, Paris, 1995, 268 p.
Qui de nous, à l’occasion d’une catéchèse, ne s’est pas fait poser la question de la souffrance, du mal, de la mort d’enfants innocents, d’épreuves qui jettent par terre. Dans le Premier Testament, le livre de Job aborde cette question du mal et de la souffrance.
Ce livre biblique demeure un des plus difficiles à lire et à interpréter. Beaucoup d’exégètes ont proposé leur analyse. Le P. Vogels ajoute la sienne. Il la donne dans un petit livre qui se lit bien, à condition de suivre le texte biblique au fur et à mesure qu’il est commenté.
Le P. Vogels résume ainsi sa conception de Job : « Ce dont traite le livre de Job est finalement de savoir comment parler de Dieu dans la souffrance ». En effet, un problème profondément humain est au cœur de ce livre biblique : la souffrance de l’innocent. Cette question est formulée dans un petit conte. Ce style littéraire permet à chacun, à chacune de se retrouver en Job, personnage heureux qui connaîtra le malheur.
Dans le conte initial (ch. 1-2), un pari est formulé par « Satan » : si Job connaît le malheur, « je parie qu’il te (Dieu) maudira en face ». Et Job est frappé par des épreuves successives. Comment parlera-t-il alors de Dieu?
L’intérêt de l’analyse du P. Vogels repose en partie sur les 7 catégories de réponses à cette question qu’il dégage du livre de Job.
Il les formule en 7 langages.
Le langage de la foi populaire
« Dieu a donné, Dieu a ôté, béni soit-il » (1,21). Pour l’auteur, cette première réaction de Job est formulée en des paroles conventionnelles, superficielles, vides, quoique pieuses. Il s’agirait de la foi du charbonnier.
Le langage du silence
Job reçoit la visite de ses 3 amis. Leur silence dure 7 jours et 7 nuits (2,13). Il n’y a pas de mots qui conviennent au moment d’une grande souffrance. On n’a qu’à sympathiser, à souffrir avec la personne éprouvée.
Le langage du doute
Pourquoi moi? La fureur et la douleur de Job éclatent dans une malédiction et une lamentation qui est à l’opposé du langage de la foi populaire. Job maudit alors le jour de sa naissance (3,3s.).
Le langage de la théologie
Les discours des 3 amis de Job (ch. 3 à 31) reflètent la théologie du temps : le bien est récompensé, le mal est puni. C’est la rétribution sur terre. Pour eux, toute souffrance ne peut être expliquée que par le péché.
Mais Job ne cesse de répéter qu’il est innocent. Il part de la réalité de sa vie pour la confronter à la théorie de la rétribution. Bien plus, l’expérience contredit celle-ci : les pécheurs vivent bien! Dans le texte biblique, on assiste à un très long débat entre 2 théologies en conflit, à un dialogue sans issue, à une conversation de sourds : des 2 côtés, on est convaincu de la vérité.
Le langage de la prière
Celui-ci est illustré dans les moments où Job s’adresse directement à Dieu dans ses discours. Job utilise alors le vocabulaire de la lamentation. Il crie sa souffrance, avec des mots pleins de violence et d’amertume, comme dans les psaumes de lamentation.
Le langage prophétique
Dans le livre de Job, un 4ème visiteur fait son apparition : Élihu (ch. 32-37). Il ressemble aux prophètes. Comme eux, il est la bouche de Dieu, son précurseur. Pour lui, la souffrance peut mener à une nouvelle vie. Il invite Job à contempler Dieu dans ses merveilles. Il l’amène à transformer sa prière. Il lui recommande de passer de la lamentation (centrée sur soi), à l’adoration (ouverture à Dieu).
Le langage mystique
Le discours d’Élihu a disposé Job à entendre la voix de Dieu qui s’adresse à lui : il lui parle de la création comme d’un mystère et surtout il lui pose des questions (ch. 38-42). Job réalise alors qu’il est bien petit en face de l’immensité de la création. Il sort de lui-même, il s’oublie, il adore en silence.
En dégageant ces 7 langages différents, le P. Vogels nous donne une clé de lecture fort intéressante pour mieux saisir le livre de Job. Il nous invite du même coup, au moment de l’épreuve, à passer du doute et de la révolte au silence d’adoration devant un Dieu qui nous dépasse infiniment, mais qui nous est toujours présent. Il nous amène aussi à relativiser nos propres niveaux de langage.
Au début du livre de Job, une question était posée : comment parler de Dieu dans la souffrance? Le verdict arrive en toute fin, en 42,7-8 : Job a parlé correctement de Dieu, contrairement à ses 3 amis qui eux n’ont pas su bien parler de Dieu. La théorie de la rétribution est ainsi mise de côté. La souffrance reste cependant un problème sans solution. Le livre de Job ne va pas plus loin. On devra attendre la Mort et la Résurrection du Christ pour compléter cette longue réflexion et nous donner l’éclairage définitif sur cette difficile question de la souffrance.