L’histoire de Jonas revisitée

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Conte biblique

Et si la baleine qui a recraché sur la plage ce petit homme appelé Jonas se mettait à raconter son histoire. Voici ce que cela donnerait. C’est ce à quoi le diacre français Alain Gueydier s’est amusé. Non sans humour il nous propose une relecture d’un petit livre de la Bible – à peine quelques pages – qui mérite bien qu’on ouvre sa bible pour aller le lire à son tour.

« Yahvé fit qu’il y eut un grand poisson pour engloutir Jonas.
Jonas demeura dans les entrailles du poisson trois jours et trois nuits.
Des entrailles du poisson, il pria Yahvé, son Dieu. »
( Jonas 2 , 1-2 )

Je suis un gros, gros, très gros poisson !

Disons, pour être plus précis, une baleine bleue. Bien que je ne comprenne pas trop pourquoi votre auteur biblique n’a pas osé le mentionner clairement dans vos Saintes Écritures.

Le temps était très, très calme depuis plusieurs jours et plusieurs semaines. Pas le moindre brin de vent et pas la moindre ride sur la surface de la mer qui était toute d’huile, comme je l’aime.

Jonas et la baleine

J’en profitais, du coup, pour avaler tranquillement mes trente kilos de poissons, ma ration minimum d’un jour, des petits et des gros, qui avaient eu le grand tort de m’approcher d’un peu trop près et de me passer sous le nez. Et quand on me passe sous le nez, je prends !…

Il faut dire que j’ai bon appétit ! Même qu’il me semble avoir un peu grossi ces derniers temps, ce qui est quand même un peu embêtant pour une baleine bleue de mon espèce, déjà bien enveloppée comme je le suis (170 tonnes d’après votre Wikipédia qui est quand même, je crois, un peu « de Marseille » !)

Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes et des mers des baleines bleues, lorsqu’une violente tempête s’abattit soudain autour de moi, provoquant des creux de plus de cinq mètres (et je ne suis pas de Marseille !, même si, paraît-il, la sardine qui boucha un jour le port de la ville était quasiment aussi grosse que moi ! ). Une tempête tellement forte, violente et puissante que j’apercevais de nombreux bateaux, barques et rafiots en difficulté lorsque je remontais à la surface pour aspirer une bonne goulée d’air frais, tout en lançant, comme toutes les baleines qui se respectent, mes jolis petits jets d’eau vers le ciel où couraient, bas, les gros nuages noirs, emportés par le vent…

Le plus surprenant dans l’affaire, c’est que la mer a apaisé sa fureur et que les vents se sont calmés tout d’un coup, au moment précis où j’aperçus, entre mes jets d’eau, un petit bonhomme qu’on était en train de jeter par-dessus le bord d’un bateau qui n’était pas loin de moi et qui n’était pas loin, non plus, corps et biens, de couler.

J’étais sur le point de replonger pour retrouver les grands fonds calmes et silencieux, lorsque je sentis quelque chose qui me restait comme un peu coincé au fond du gosier et que j’avais un mal de chien (c’est une façon de parler !) à avaler.

J’ai d’abord pensé que j’avais eu les yeux plus grands que le ventre en attrapant par mégarde, pour mon petit déjeuner, un poisson un peu trop gros pour moi.

Mais vous me croirez si vous voulez, ce n’était pas du tout un poisson, mais un homo sapiens !

Enfin !… pas si « sapiens » que çà puisqu’il avait eu la très mauvaise idée de se jeter dans la gueule d’une pauvre baleine bleue qui passait par là, en vivant gentiment sa vie, sans rien demander à personne.

Au terme de quelques efforts désespérés et de plusieurs haut-le-cœur tonitruants, j’ai finalement, assez péniblement, réussi à déglutir et, par conséquent, à l’avaler tout cru. Je sentais bien que le bonhomme se débattait comme un beau diable dans mon estomac, mais, qu’est-ce que vous voulez, il n’avait qu’à ne pas se mettre dans une situation pareille ! On n’a pas idée, non plus !…

Comme j’ai l’ouïe assez fine (ma mère me l’a toujours dit), j’ai tout entendu, d’autant qu’il y avait pas mal d’écho dans mon estomac qui est grand comme une cathédrale.

Le bonhomme (bien que vos auteurs bibliques n’en disent rien !) se mit tout d’abord dans une colère noire et passa la première journée de sa nouvelle villégiature à crier à tue-tête à qui voulait bien l’entendre (moi, en l’occurrence !) qu’on ne l’y reprendrait pas deux fois…et patati et patata…! Il hurlait que ce n’était quand même pas possible d’avoir un Dieu si exigeant qui vous envoyait au casse-pipe pour, soi-disant, supplier les gens très peu recommandables de la grande ville de Ninive de bien vouloir revenir à des comportements un peu plus civilisés et à des sentiments un peu plus religieux à l’égard du Très-Haut. Et que c’était la raison pour laquelle il avait pris la poudre d’escampette en grimpant sur le premier bateau venu pour s’enfuir le plus loin possible de ce dernier.

Le gars s’est finalement calmé au bout d’un jour et d’une nuit (car il est quand même resté chez moi durant trois jours et trois nuits, hein ! ). En fait, je crois qu’exténué d’avoir tant crié et gigoté dans tous les sens, il s’était endormi comme s’il était à fond de cale, sauf que, là, ce n’était pas le fond d’un bateau, mais le fond de l’estomac de ma petite personne.

C’est le deuxième jour que s’est produit un grand changement. Le sommeil et la nuit portant conseil et ayant sans doute repris des forces en gobant quelques menus fretins qui continuaient à emprunter tranquillement la voie de mon œsophage, mon bonhomme intérieur était tout à fait de bonne humeur et revenu à des sentiments beaucoup plus respectueux et, ma foi, très canoniques envers son Dieu !

Il n’arrêtait pas de remercier son Très-Haut de l’avoir sauvé des vagues et des lames de la mer, de l’abîme qui l’avait cerné de toutes parts, d’une vilaine fosse dans laquelle il était stupidement tombé et même d’une foutue algue qui s’était malencontreusement enroulée autour de son cou et qui l’avait à moitié asphyxié. Il lui promettait même de lui adresser des kilos et des tonnes de louanges et de lui offrir moult sacrifices lorsque se présenterait à lui l’occasion d’aller lui dire un petit bonjour dans son temple… et tout ! et tout !!!

Le troisième jour, le Créateur de l’univers (qui, entre parenthèses, est aussi le mien) me glissa à l’oreille qu’il serait vraiment très aimable de ma part de libérer le bonhomme sur le champ. Je n’ai pas demandé mon reste pour ne pas avoir d’ennuis avec les divinités, on ne sait jamais !

Et j’ai, du coup, tout vomi sur la plage !…

Ce n’était pas joli, joli à voir, car mon suc gastrique (il paraît, d’après les spécialistes, que j’en secrète plus de dix litres par jour) avait pas mal amoché mon visiteur de trois jours et de trois soirs. Il était d’une maigreur et d’une pâleur à faire peur, de larges cernes noirs sous ses yeux fatigués, les cheveux tout poisseux et tout collés sur son pauvre petit crâne, comme on le voit si souvent chez le nouveau-né des humains qui vient tout juste de prendre l’air après avoir passé neuf mois de villégiature, bien au chaud, dans le ventre de sa maman…

Mais bon !… Mon ancien locataire a tout de même réussi à se remettre tant bien que mal sur ses pieds et à faire quelques pas timides sur la plage, quoiqu’en titubant un peu. Ce qui m’a fait comprendre, tout à coup, qu’il doit y avoir pas mal de molécules d’alcool dans mon suc gastrique.

Son Dieu – qui se trouvait là, lui aussi, sur la plage (je me demande bien comment il avait pu arriver là, enfin bref ! …) – demanda à nouveau au bonhomme de partir sur le champ vers la grande ville de Ninive. Ce qu’il fit sans montrer un enthousiasme débordant, car, d’après ce que j’ai compris, il devait aller annoncer aux habitants que, pour retrouver l’amitié du Très-Haut, ceux-ci devraient immédiatement se mettre strictement à la diète, se barbouiller la figure avec des cendres et se mettre un sac sur la tête pour montrer qu’ils étaient disposés à se détourner des petits et des grands péchés qu’ils avaient pu commettre dans leur vie…

J’ai donc repris une énorme respiration, propulsé deux très jolis jets d’eau à trente mètres de haut, et chanté comme, nous les baleines, savons si bien le faire. Puis j’ai replongé pour retrouver la tranquillité de ma petite vie d’avant et déguster une nourriture davantage conforme à ce que le Créateur, dans sa grande sagesse, a prévu pour moi et mes congénères depuis toute éternité…

Quant à Jonas (je viens d’apprendre que c’est le petit nom de mon ancien gentil petit locataire), j’espère de tout mon grand cœur de gros poisson que sa mission, si délicate, auprès des gens apparemment pas très catholiques de Ninive a été bien vite couronnée de succès. J’espère aussi qu’il a tiré le plus grand profit de la belle expérience spirituelle qu’il venait d’accomplir dans mon intérieur. Le mieux étant pour lui, d’après ce que j’en ai compris, d’obéir bien gentiment, sans rechigner, à ce que son Très-Haut lui dirait désormais de faire.

Je pense souvent à lui et à la joie qui doit être la sienne ! Car passer trois jours et trois nuits, comme mort, dans la nuit noire de mon estomac, tout au fond des eaux maléfiques, puis resurgir tout vivant sur la plage est, tout de même, pour lui, avouez-le, la plus belle des bonnes nouvelles !… Il paraît qu’il est arrivé la même aventure (en infiniment mieux !) au propre Fils du Très-Haut qui est passé lui aussi, le troisième jour, des ténèbres de la mort à la lumière de la vie…une sorte de passage, quoi !… Du coup, j’ajouterai bien un Alléluia pascal au répertoire de nos chants de baleines !

Alain Gueydier
Sur les sentiers de la Parole
No 14 – octobre 2022


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