Une réflexion sur la catéchèse au service de la croissance humaine et spirituelle des personnes vivant avec une surdité.
Adjoint à la Maison de la Foi, André Lachambre est responsable de la formation des catéchètes (www.maisondelafoi.qc.ca).
Dans cet article, André Lachambre nous fait part de sa découverte de la Catéchèse Biblique Symbolique, au service de la croissance humaine et spirituelle des personnes vivant avec une surdité. Il nous partage, sous forme de témoignage personnel, sa réflexion à propos de certaines voies qui furent empruntées dans le but de rejoindre et d’aider les personnes concernées par le monde de la surdité.
Introduction
Une chance et un privilège
La Catéchèse Biblique Symbolique (CBS) (http://catechese.free.fr/) m’a touché dès ses premiers babillages en territoire québécois. J’étais alors inscrit au programme du baccalauréat en théologie pastorale à l’Institut de pastorale des dominicains.
La fréquentation des cours du Père Gaston Raymond, les sessions offertes par le couple Lagarde et les cours offerts par Colette Beauchemin ont nourri une aspiration devenue comme une évidence en moi : « Quelle chance ce serait si les personnes sourdes pouvaient un jour vivre le privilège de fréquenter des milieux permettant un rafraîchissement spirituel au puits de la Catéchèse biblique symbolique. »
Une profonde conviction
Depuis ce temps, l’eau claire de cette fontaine de Jouvence a coulé abondamment pour abreuver le monde des entendants sans que je ne réussisse à mobiliser des personnes intéressées à marcher et à s’investir avec moi dans le sens de cette intuition profonde concernant des sourds.
Pourtant, je n’ai cessé d’être habité, depuis ma formation universitaire, par la certitude que la force du récit biblique « gestué » serait une porte royale pour inviter les personnes sourdes à collaborer à l’œuvre du salut de Dieu en elles.
De surcroît, la Catéchèse Biblique Symbolique autoriserait ce peuple du silence à exprimer visuellement une « Parole » signifiante et vivante.
Je soupçonne même que cette prise de parole les engagerait d’emblée dans un cheminement de foi à long terme. « Ephata » (« Ouvre toi »), j’y voyais une occasion unique d’ouvrir un horizon large qui creuserait leur terre intérieure pour offrir des fruits de conversion.
Autrement dit, l’approche fournirait certainement une meilleure chance que l’utilisation d’une langue orale défectueuse, boiteuse et lacunaire qui a gardé cette population affamée, privée de lieux propices au ressourcement humain et spirituel à long terme.
Des défis à surmonter
Le premier obstacle à franchir résidait dans le fait que la population sourde occupe habituellement un vaste territoire dans un modèle de « diaspora ». Cette répartition moins commode que la concentration autour d’une paroisse vient compliquer la donne.
Le second problème réside dans la nécessité de former un réseau de communication efficace sur le plan de la compréhension réciproque. En l’occurrence le mode de communication visuelle (LSQ pour Langue des Signes québécoise) s’avère le plus adapté à la condition des personnes atteintes de surdité allant de moyenne à profonde.
Cela suppose une intervention dont les bases linguistiques sont solides afin d’utiliser au mieux les outils d’une communication non-verbale. Est-il nécessaire de parler de vocation puisqu’à l’évidence, l’intervenant doit vivre un intérêt marqué pour les notions touchant à la catéchèse et la spiritualité?
D’hier à aujourd’hui
Au fil de la tradition, les religieux, sœurs de la Providence et Clercs de Saint-Viateur, ont investi beaucoup dans leurs propres internats spécialisés en surdité. Ils avaient pour mission d’instruire aux principes chrétiens les jeunes sourdes et sourds placés sous leur responsabilité pour fins de formation.
L’évolution sociale a remplacé ce système par l’école publique qui a pris sous son aile de poursuivre « la mission d’instruction catéchétique ». Puis, le contexte moderne de laïcisation des écoles favorisant la déconfessionnalisation a contribué à mettre à la rue divers aspects du cheminement chrétien ou religieux.
Cela a évidemment « coincé » les parents d’enfants sourds qui ont appris, bon gré mal gré, à converser en langage non-verbal sans prétendre pour autant être parvenu à une spécialisation technique capable de donner accès à l’intériorité, royaume de l’intimité symbolique.
Des projets pilotes
Un premier projet
Je ne puis énumérer tous les obstacles qui se sont dressés sur ma route de catéchète dans mes tentatives de réaliser mon rêve initial.
Aux fins d’une illustration propre à faire comprendre, j’évoquerai seulement deux expériences. J’ai d’abord donné forme à un projet qui a regroupé des enfants sourds et entendants. Nous avons vécu une démarche catéchétique s’appuyant sur le « raconté » et « son écho ».
Hélas, les stratégies de communication m’ont vite fait défaut; je suis devenu débordé par la seule tâche du va-et-vient continuel entre la langue parlée et la langue visuelle (le gestuel). Ce terrain expérimental m’a vite fait comprendre que ce projet se butait dans des situations frustrantes et invitait mes jeunes interlocuteurs au désajustement comportemental.
Un deuxième projet
Je me suis donc investi dans un deuxième projet, car je voyais la prépondérance de fréquenter un lieu de rassemblement habité par plusieurs enfants réunis autour d’un projet catéchétique d’ensemble afin que les enfants sourds réalisent qu’ils sont inclus dans une démarche universelle.
Cette fois, j’ai pris bien soin de réunir un groupe homogène composé uniquement d’enfants sourds. Je m’adressai à une cellule composée de trois enfants, deux garçons et une fille. Notre aventure a été agréable et s’est avérée plus efficace au plan de l’échange.
Toutefois, les parents se sont vite essoufflés à parcourir une grande distance pour conduire leur enfant à Laval, laissant sous garde le reste de leur progéniture. C’est ainsi que, malgré le grand intérêt manifesté, ils ont plié bagage après la préparation à la première eucharistie et n’ont jamais fréquenté ultérieurement l’une ou l’autre des communautés chrétiennes sourdes desservies par notre équipe de la Maison de la Foi au service du monde de la surdité.
Le rassemblement eucharistique
Il appert que, pour le moment, le temps de catéchisation le plus aisé reste celui rendu possible lors du rassemblement eucharistique. Les gestes et la Parole s’y font écho pour donner sens au vécu de nos communautés chrétiennes sourdes.
Chaque célébration est préparée avec grand soin à partir d’un canevas qui ressemble à un scénario préparatoire à la réalisation d’un film.
En première page figure une conception visuelle qui suggère une orientation en fonction des textes bibliques de circonstance.
On travaille sur le langage gestuel pour que celui-ci s’offre à une pluralité d’interprétation possible de manière à respecter l’autonomie interprétative du récepteur; ouverture interprétative qui vise à toucher les individus autant que la collectivité en fonction de ses dispositions intérieures lors du moment du rassemblement.
En attente d’ouvriers
Pendant que je rédige cet article, je reçois une demande par courriel : « Grâce au suivi offert par la Maison de la Foi, j’ai fait baptiser ma fille sourde.
La célébration a revêtu plein de sens pour nous tous! Je suis sa mère et je désire qu’elle poursuive son initiation dans une démarche chrétienne qui la conduira plus loin en passant par l’initiation aux sacrements du pardon et de l’eucharistie. Offrez-vous une alternative pour elle à travers vos services pastoraux? J’habite maintenant Mascouche. »
Que puis-je répondre à cette femme d’espérance qui souhaite offrir à son enfant un cheminement chrétien soutenu par la prière? D’où viendra la prochaine requête? Rawdon, Sherbrooke, Sainte Thérèse ou Montérégie?
Qui dira : « Je suis disponible pour accompagner ces jeunes et je suis doté des pré-requis favorisant une bonne communication? Qui dira : « Je vais suivre une formation en Catéchèse biblique symbolique pour répondre à cet appel : « J’avais soif et vous m’avez donnée à boire. »?