Histoires, récits, paraboles : parce que la Bible est l’histoire d’une Alliance, d’une relation. Son contenu et sa pédagogie sont intimement liés.
On explorera brièvement dans cet article une clef majeure de la pédagogie biblique : la pertinence et la valeur du mode narratif de la Bible.
Des histoires d’alliance et de relations
La Bible fonctionne essentiellement sous le mode du récit. Même ses grands textes de lois dans l’Exode, le Lévitique et le Deutéronome, sont insérés à l’intérieur d’une trame narrative répétée et qui en donne le sens essentiel : la sortie d’Égypte et l’errance au désert, vers la Terre Promise.
Il en va de même pour la révélation en Jésus : il a raconté le Règne de Dieu en multiples paraboles et l’a manifesté dans des actes singuliers (d’accueil et de guérison) qui sont racontables. De même les Évangiles, qui sont des catéchèses, ont « raconté » Jésus, ils l’ont présenté en récits, plutôt que de rassembler ses paroles et enseignements comme un « message » à transmettre.
Un contenu et une pédagogie intimement liés
Des histoires, récits et paraboles, pourquoi? Avant tout parce que la Bible est l’histoire d’une Alliance, donc d’une relation. Son contenu et sa pédagogie sont intimement liés.
L’utiliser nous-mêmes dans des pratiques pédagogiques du récit, i.e. du raconter, permet de manifester la nature même de la révélation biblique : non pas un livre « sur Dieu », mais plutôt sur nos relations à ce Dieu qui se révèle dans une initiative d’alliance. Toute la Bible est parabole de Dieu-avec-nous (Emmanu-El).
Les relations, ça ne peut se comprendre que comme réalité humaine inscrite dans le temps, dans des histoires de personnes et d’événements, des débuts et des progrès, des ratés et des réconciliations. Comme la Bible, la catéchèse invite à une relation.
Une pédagogie du récit
Cette pédagogie du récit concret et particulier, Jésus la met en œuvre chez Simon le pharisien (Lc 7,36-50)1.
La parabole, dans les Évangiles comme dans l’Ancien Testament, fonctionne comme instrument de dialogue catéchétique. Plutôt que le discours et le débat sur des notions à défendre ou pour convaincre (comme expliquer à Simon au nom de quelle image de Dieu Jésus se laisse aborder par la pécheresse), la magie du conte crée une complicité. La parabole surprend Simon et lui donne à penser, lui ouvrant ainsi l’espace de l’auditeur : à lui de voir ce qu’il fait avec ce récit.
Voilà pourquoi les enfants aiment les histoires – même les « pas édifiantes » – et les adultes aussi. L’espace ouvert permet de se projeter dans le récit, qui propose des miroirs, joue sur les personnages et les ambiguïtés humaines.
Des histoires de salut qui font parler
La proposition d’un salut pour l’humanité est le thème central de la Bible, comme de la catéchèse chrétienne. Si l’alliance que Dieu m’offre n’est pas salut pour moi, je n’en vois pas l’intérêt! Or un salut est toujours de l’ordre de l’événement; il s’inscrit dans l’histoire – personnelle et/ou collective.
Jamais le poids d’une histoire transformée ne peut passer dans une notion; les catégories abstraites sont toujours trop pauvres pour dire l’événement d’une délivrance. Jésus ne parle du Règne de Dieu qu’en paraboles et en actes : « si c’est par le doigt de Dieu que je guéris, alors le Règne de Dieu vient de vous atteindre! ».
Les récits mettent en scène des histoires de salut : dans des situations humaines concrètes et complexes, quelque chose peut changer! C’est la force du Règne de Dieu à l’œuvre, transformant des situations, débloquant des impasses.
Le récit déploie des actions, motivées par des choix et des valeurs, et leurs conséquences sur les gens et les situations.
Il fait jouer le « bien » et le « mal », toujours présents dans le réel humain.
Pas trop naïve ni fleur bleue, la Bible! Bien sûr les différences de situation sont infinies, pour nous et dans la Bible, et pourtant on reconnaît des patterns proches de nos aventures; le récit va du particulier (Simon, Moïse) au particulier (moi, toi, nous), plutôt que de miser sur le général et l’abstrait. Dans le récit, c’est moi qui peux être mis en actes, en émotion, en désir, en choix de valeurs, entre « bien » et « mal ».
Parler le récit
Le récit parle de moi… seulement si je parle le récit. Si l’histoire racontée m’est présentée comme une information à « croire » à propos du passé, elle n’est pas encore mon histoire.
L’auditeur doit occuper l’espace que le récit lui ouvre; la pédagogie du récit doit donc s’accompagner d’une pédagogie qui libère l’espace et la parole des catéchisés.
Plus que « connaître les récits fondateurs », ils doivent pouvoir les raconter eux-mêmes, les discuter, en manipuler le langage, les mots et les images, les situations, les actes libérateurs, les refus et les sursauts de courage.
La prise de parole en catéchèse
Donner la parole est bien plus qu’une concession à la pédagogie active, à l’inattention des enfants ou à la mode du temps.
La psychologie cognitive montre bien que c’est en parlant et en agissant que l’on apprend et intègre; nous structurons nos représentations en les parlant, car parler nous oblige à penser par nous-mêmes.
C’est aussi en parlant que nous arrivons à relier nos nouveaux acquis aux représentations déjà acquises, plutôt que de les accumuler et les juxtaposer en vrac et sans lien.
En catéchèse, les activités de parole permettent de raconter les récits fondateurs, de les combiner entre eux et, peu à peu, de les construire en réseaux d’actes de salut; ce travail de parole est fondamentalement initiatique.
Parler ensemble avec les images et les récits bibliques, qui sont le langage de la foi, fait participer le groupe à la grande histoire de Dieu-avec-nous.
Nous sommes loin, ici, d’une pédagogie qui cherche d’abord, dans la parole du catéchisé, la « bonne réponse », la « reformulation dans ses mots » d’une notion qu’on a expliquée. Certes, les récits bibliques ne racontent pas « n’importe quoi », ni n’importe comment!
C’est bien là la vertu d’une pédagogie narrative : les récits ont leur propre configuration (tels personnages, telle action, tel dénouement), avec laquelle il faut composer; et pourtant, ils stimulent l’imaginaire et libèrent la créativité!
Belle histoire, le récit de la Traversée de la Mer Rouge? Sans aucun doute! et qui joue sur des désirs et des peurs que nous connaissons tous.
Embarrassant, ce Dieu qui tue les premiers-nés d’Égypte? pour vous et moi, sûrement! mais l’histoire n’est pas moins belle, ni moins biblique pour autant. On ne veut pas enseigner ce Dieu-là aux enfants? mais ils l’ont déjà rencontré dans leurs désirs…
Et si on connaît d’autres récits, disons de Jonas, malheureux de voir Dieu trop miséricordieux, ou de Jésus, qui marche sur les eaux et refuse la lapidation d’une femme adultère… Et si, discutant et travaillant ses récits, on les fait se croiser, se rencontrer, se compléter mais aussi se contredire…
Le jeune concluant finalement, après effort, que peut-être le Dieu dont parle Jésus s’y reprendrait autrement en Égypte, fait bien là un petit bout de chemin catéchétique. Pas pertinente, cette belle histoire de l’Exode? Tout dépend de ce qu’on appelle « catéchèse »…
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Lc 7,36-50
7:36 Un Pharisien l’invita à manger avec lui; il entra dans la maison du Pharisien et se mit à table.
7:37 Survint une femme de la ville qui était pécheresse; elle avait appris qu’il était à table dans la maison du Pharisien. Apportant un flacon de parfum en albâtre
7:38 et se plaçant par-derrière, tout en pleurs, aux pieds de Jésus, elle se mit à baigner ses pieds de larmes; elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et répandait sur eux du parfum.
7:39 Voyant cela, le Pharisien qui l’avait invité se dit en lui-même: “Si cet homme était un prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est: une pécheresse.”
7:40 Jésus prit la parole et lui dit: “Simon, j’ai quelque chose à te dire.” – “Parle, Maître, dit-il. –
7:41 “Un créancier avait deux débiteurs; l’un lui devait cinq cents pièces d’argent, l’autre cinquante.
7:42 Comme ils n’avaient pas de quoi rembourser, il fit grâce de leur dette à tous les deux. Lequel des deux l’aimera le plus?”
7:43 Simon répondit: “Je pense que c’est celui auquel il a fait grâce de la plus grande dette.” Jésus lui dit: “Tu as bien jugé.”
7:44 Et se tournant vers la femme, il dit à Simon: “Tu vois cette femme? Je suis entré dans ta maison: tu ne m’as pas versé d’eau sur les pieds, mais elle, elle a baigné mes pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux.
7:45 Tu ne m’as pas donné de baiser, mais elle, depuis qu’elle est entrée, elle n’a pas cessé de me couvrir les pieds de baisers.
7:46 Tu n’as pas répandu d’huile odorante sur ma tête, mais elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds.
7:47 Si je te déclare que ses péchés si nombreux ont été pardonnés, c’est parce qu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour.”
7:48 Il dit à la femme: “Tes péchés ont été pardonnés.”
7:49 Les convives se mirent à dire en eux-mêmes: “Qui est cet homme qui va jusqu’à pardonner les péchés?”
7:50 Jésus dit à la femme: “Ta foi t’a sauvée. Va en paix.”
TOB