La condition originelle de l’humain? Il aspire à l’infini mais en même temps il est un être manquant, c’est-à-dire un être qui ne peut répondre à son désir d’infini par lui-même.
Cet article s’inspire de la pensée du théologien François Varone dans son livre « Ce Dieu censé aimer la souffrance, Cerf, Paris, 1990 » et tout particulièrement de sa réflexion à propos ce que l’on appelle, traditionnellement, le « péché originel ».
Le « péché originel » dans la théologie classique
Dans la « théologie classique », telle qu’exprimée notamment dans le « Catéchisme de l’Église catholique » (de 1992), on croit volontiers aux thèses suivantes à propos du début de l’histoire de « l’homme » :
- Monogénisme : un seul et unique couple à l’origine de l’espère humaine.
- Premier homme créé en harmonie avec lui-même et avec toute la création : amitié avec son Créateur et sainteté (justice) originelle.
- L’homme ne devait ni mourir, ni souffrir.
- Cette harmonie de justice originelle a été perdue par le péché de nos premiers parents (Adam et Ève).
- Toute l’histoire humaine est marquée par la faute originelle librement commise par nos premiers parents.
- Les conséquences de la première désobéissance sont dramatiques : la mort fait son entrée dans l’humanité, le péché « envahit » le monde et une immense misère devient le partage des êtres humains.
- Transmission mystérieuse d’un état, celui du « péché originel ».
- Perte de la sainteté et de la justice originelles prévues pour tous les êtres humains. Cette privation est notamment ce que l’on qualifie comme étant le « péché originel ».
(Catéchisme de l’église catholique, Mame/Plon, 1992, p. 86-93)
Comme le dit François Varone,
Il est intéressant de relever également que toute imagerie originelle, cette double perfection du monde et de l’homme en leurs lointains débuts, relève d’un archétype classique, autant dans les cultures humaines que dans les individus. C’est l’archétype de l’âge d’or.
La pensée évolutive moderne, exclut cette représentation archétypale : dans les temps passés, il n’y a pas un âge d’or de la vie, mais un combat constamment renouvelé et développant par paliers successifs des formes de vie toujours plus compliquées.
(François Varone, Ce Dieu censé aimer la souffrance, Cerf, Paris, 1990, p. 175-176)
Une théologie remise en question par les découvertes scientifiques
François Varone fait remarquer que la conception fixiste des origines du monde, avec un état premier paradisiaque, était pensable au temps où l’on concevait la création comme étant surgie, d’un seul coup tout entier, de la Parole créatrice de Dieu.
Il était donc inévitable que l’être humain se mette à historiciser les récits de création présents dans Genèse.
Cependant, avec les progrès de l’astronomie et de la paléontologie, nous savons qu’un état paradisiaque avant l’avènement de l’être humain n’a jamais existé :
- Naissance des galaxies, des étoiles, des planètes, de la terre, de la lune, …
- Tremblements de terre, éruptions volcaniques, …
- Apparition progressif du règne végétal.
- Apparition progressif du règne animal avec un fourmillement d’espèces engagées dans un combat similaire à celui de l’être humain avec sa part de violence, de souffrance et de mort.
- Différentes espèces d’hominidés et d’hominiens précédant l’avènement de l’espèce humaine (homo sapiens).
La révolte du premier homme ne peut avoir jeté le monde dans un état de lutte et de mort qui existait déjà tel quel depuis des millions d’années.
Une théologie remise en question par la foi chrétienne
Le chrétien croit en un Dieu bon, juste et bienveillant. Or, comment concilier la foi en ce Dieu et la croyance traditionnelle voulant que la faute empirique d’un seul ait entraîné arbitrairement la condamnation de tous les innocents? Comment le Dieu trinitaire, être-de-relation, Amour créateur et Souffle de Vie pourrait-il tolérer pareil scandale?
Pour saint Paul, la première humanité, inaugurée en Adam, est définie par les caractéristiques naturelles suivantes : « corruptible, sans gloire, faible » (1 Cor 15,42-43). Adam fut créé « corps animal » (donc mortel). Ce n’est qu’avec le Christ, nouvel Adam, que s’inaugure une nouvelle humanité, « corps spirituel » (donc immortel, vivant la vie de Dieu).
Adam est donc la figure de l’humble début, inaugurant une humble humanité mortelle. Mais l’humble début est promis à la gloire. Cette promesse s’inaugure et se révèle dans le Christ ressuscité.
L’être humain : un nécessiteux de salut par nature
Pour parler avec saint Jean, la condition native de l’homme, c’est sa « chair » : « ce qui est né de la chair, est chair » (Jn 3,6). C’est normal, ce n’est pas le résultat d’une catastrophe antérieure; c’est pourtant une situation qui en appelle absolument à une autre naissance, qui met l’homme dans la nécessité radicale de puiser à une autre origine, l’en-haut, l’Esprit : « Ce qui est né de l’Esprit, est esprit. »
(François Varone, Ce Dieu censé aimer la souffrance, Cerf, Paris, 1990, p. 187)
Nous naissons nécessiteux de salut par notre nature propre et non d’abord parce que nous sommes pécheurs. Car au fait, pour être sauvé, faut-il vraiment être pécheur? Il suffit d’être dans une situation telle qu’à nous seul nous ne puissions nous en sortir.
Bref, on peut être nécessiteux de salut par simple manque de moyen de se tirer seul d’une telle situation.
« L’homme naît « chair », et cette « chair originelle » dit essentiellement une condition de fragilité mais une fragilité habitée pourtant d’un désir infini. Cette tension, insoluble en soi, va donc nécessairement produire d’abord une tentative de se réaliser soi-même.
(François Varone, Ce Dieu censé aimer la souffrance, Cerf, Paris, 1990, p. 187)
La condition originelle de l’humain? Il aspire à l’infini mais en même temps il est un être manquant, c’est-à-dire un être qui ne peut répondre à son désir d’infini par lui-même.
Nous sommes dans une situation paradoxale : nous avons un désir d’infini et pourtant nous sommes en présence de la réalité de ce monde qui ne vient pas assouvir ce désir.
Lueur d’espoir… le manque d’être que nous expérimentons est précisément la brèche qui nous ouvre au salut. C’est ce qui nous permet de désirer vivre avec cet infini un jour. Dieu nous cherche par le biais de notre manque.
Cette situation constitue une nécessité absolue et radicale de salut : si la révélation de Dieu ne vient pas, un jour, libérer cette horizon, le désir de l’homme ne peut que s’affoler puis étouffer dans son impasse.
(François Varone, Ce Dieu censé aimer la souffrance, Cerf, Paris, 1990, p. 183)