Familier… et dissonant?

Premier d’une série de 6 articles qui se proposent d’explorer, en lien avec la culture contemporaine, des grands thèmes de l’Évangile de Matthieu.
Chaque Évangile est né d’un effort d’adaptation catéchétique et pastorale dont l’Esprit est la source. À travers les siècles, les sensibilités du temps ont toujours influencé la façon de lire les Évangiles; tels aspects sont privilégiés, d’autres restent dans l’ombre.

Ce texte a paru en Juin 1998 dans la Revue Prêtres et pasteurs; il a été adapté pour le médium Internet par le Service catéchétique viatorien.

Matthieu est l’Évangile le plus présent dans la mémoire collective

La plupart des croyants se représentent spontanément les scènes d’Évangile selon la version de Matthieu :

Ces morceaux d’Évangile sont tous présents chez Marc, Luc ou Jean, mais c’est le plus souvent la version de Matthieu qui vient à l’esprit. Pourquoi? Matthieu a eu pendant des siècles une nette prédominance dans la liturgie et les homélies.

Nous vivons au 21ème siècle mais nous héritons de l’orientation globale qui a formé les générations passées : notre foi reçue baigne dans les thèmes, la christologie et l’ambiance de Matthieu.

L’Évangile le plus étranger des 4 à la culture contemporaine

Une lecture de Matthieu aujourd’hui doit tenir compte de cette difficulté : familier dans l’héritage et dissonant avec le présent.

Certaines raisons qui ont longtemps favorisé Matthieu dans la pratique ecclésiale expliquent en partie pourquoi cet Évangile est moins en consonance avec la culture actuelle :

Matthieu met en relief la seigneurie de Jésus; il brosse un portrait majestueux où la divinité se profile presque comme une évidence. Mais l’humanité historique et existentielle de Jésus rencontre un fort intérêt contemporain.1

Dans Mt, Jésus enseigne beaucoup, en discours bien structurés. Cela servait bien en société de chrétienté où la catéchèse se concevait comme la transmission de la vérité par enseignement magistral. Dans un monde marqué par le pluralisme et les sciences humaines, les besoins pastoraux se sont diversifiés. La notion même d’enseignement a subi de profondes mutations avec sa valorisation de l’autonomie du sujet.

Enfin, la morale chrétienne a longtemps incarné un ensemble de valeurs touchant tous les domaines de la vie et ce dans un monde où « la loi, c’est la loi! » On privilégiait donc Matthieu, ses préoccupations morales et ses impératifs clairs dont on tirait des règles sur « ce qu’il faut faire et ne pas faire pour aller au ciel ».

Aujourd’hui, les questions éthiques ne nous paraissent plus si simples et visent plus l’agir ici et maintenant. Elles deviennent objet de discernement personnel et collectif responsable. Le style en « noir et blanc » de la loi et du juridisme a perdu beaucoup de crédibilité et devient discordant à l’oreille contemporaine.

Évangile et culture

Quelles que soient les grandes qualités de l’Évangile de Matthieu, son usage massif pendant des siècles a en partie suscité une certaine tournure d’esprit de la foi. Or c’est justement cette tournure d’esprit qui fait problème maintenant. On ne peut pas simplement dire « l’Évangile c’est l’Évangile ».

Chaque Évangile est né d’un effort d’adaptation catéchétique et pastorale dont l’Esprit est la source. Ce qui est visé? Une meilleure éducation possible de la foi de communautés chrétiennes particulières.

À travers les siècles, les sensibilités du temps ont toujours influencé la façon de lire les Évangiles; tels aspects sont privilégiés, d’autres restent dans l’ombre. C’est encore vrai maintenant; et vrai pour cet article qui cherche, dans les traits particuliers de Matthieu, des consonances avec une certaine vision les enjeux ecclésiaux et pastoraux actuels. D’autres choix sont possibles… la lecture reste ouverte!

  1. Depuis dix ans, le succès de nombreuses publications en ce sens en témoigne.