Susciter des communautés de foi et de partage

Évangéliser, dans un contexte de sécularisation, c’est vraiment aider l’éclosion de ces nouvelles communautés de chrétiens en diaspora, conscients de la valeur et de la force de la Bonne Nouvelle qu’ils portent en eux et de sa capacité de transformer le monde.

Avant-propos

Comme les Hébreux qui ont dû quitter l’Égypte, passer la Mer Rouge et vivre au désert pendant 40 ans, nous avons laissé un pays connu, le Québec de la chrétienté tranquille, pour passer à travers le désert des incertitudes, en marche vers le Québec, pays de mission.

Ce passage à travers le désert de nos désarrois et de nos recherches est sans doute pénible et insécurisant. Mais il est actuellement nécessaire pour nous amener à abandonner certaines de nos pratiques actuelles et à faire Église autrement, dans la créativité et la nouveauté.

C’est là une condition essentielle pour l’inculturation de la foi chrétienne au Québec, dans le vécu des gens d’ici. Un vécu qui ne s’inscrit plus dans le contexte de chrétienté que nous avons connu dans les années 40 et 50, mais plutôt dans un contexte de sécularisation né de la Révolution tranquille des années 60 et 70.

Le contexte de chrétienté

Je m’explique d’abord sur le contexte de chrétienté. Dans une ère de chrétienté, tout prend automatiquement son sens par sa référence à la religion chrétienne. Toutes les institutions religieuses sont symboles en elles-mêmes.

Prenons, en guise d’exemple, mon petit village de Maria en Gaspésie (Québec). À Maria, l’église était vraiment le centre du village. L’édifice en lui-même disait que la religion chrétienne était la chose la plus importante du village. Je me rappelle qu’en passant devant l’église, tout le monde faisait le signe de croix, signe de la relation à Dieu.

Un autre exemple : à Maria, l’école principale était située à côté de l’église. Elle symbolisait en elle-même l’éducation chrétienne. L’hôpital, non loin de l’église, symbolisait que le soin des malades était une œuvre de charité chrétienne. Ces institutions étaient des symboles clairs et précis. Elles avaient un sens chrétien en elles-mêmes.

Le prêtre, curé de la paroisse, était le symbole du divin. Il était perçu comme le représentant de Dieu sur terre ; il était également le garant de la morale. Il y avait aussi des religieuses dans la paroisse. Elles étaient le symbole de la sainteté et de la consécration à Dieu. « Vous prierez pour moi » leur demandait-on. L’institution et le rôle étaient symboles en eux-mêmes. Tout était clair et cohérent dans ce contexte de chrétienté.

Les institutions profanes, du moins à Maria, étaient secondaires par rapport aux institutions religieuses. Elles n’étaient pas méprisées, mais elles étaient subordonnées aux structures religieuses. On avait là une cohérence parfaite et le sens était évident. À noter qu’en contexte de chrétienté, le sens de la vie est donné en bloc : on n’a pas à le chercher ou à l’inventer.

Le contexte de sécularisation

Nous sommes maintenant à une époque et dans un contexte de sécularisation. La religion chrétienne est une étrangère dans la Cité séculière. Les institutions chrétiennes ne sont plus en elles­mêmes signes ou symboles de valeurs évangélisatrices et chrétiennes.

Une image de cela, c’est la cathédrale de Montréal. Elle dominait autrefois le centre-ville et était signe du primat de la religion chrétienne. Elle est maintenant visuellement écrasée par des édifices gigantesques ; elle est cachée et n’a plus d’importance en elle-même.

Le contexte social de sécularisation change complètement le sens et la portée des institutions. L’école n’est plus confessionnelle et chrétienne, certains enseignants le sont encore. Eux, peuvent être signes. Le prêtre n’est plus en lui-même le symbole du divin et le représentant de Dieu. Tels et tels prêtres peuvent encore l’être à cause du témoignage qu’ils portent sur Dieu et sur l’Évangile. C’est la personne qui devient importante, et non plus le rôle ou la fonction.

Les gens ne croient plus au rôle institutionnel. S’ils vous rencontrent et voient que vous vivez l’Évangile, alors ils pourront se sentir interpellés. Les communautés religieuses ne sont plus le symbole de la consécration à Dieu et de l’absolu du Royaume. Mais tel religieux, telle religieuse ou tel groupe de religieux peuvent encore l’être à cause de leur témoignage personnel ou collectif.

La sécularisation qui, aujourd’hui, marque si profondément nos sociétés, se manifeste entre autres par un relâchement de la pratique dominicale et de la participation cultuelle. Par une indifférence par rapport aux principaux éléments du dogme chrétien. Et surtout par rapport aux prescriptions de l’Église, notamment en ce qui concerne la morale sexuelle. L’Église n’a pratiquement plus d’emprise sur les mentalités et sur les consciences. La figure du croyant-pratiquant soumis à l’enseignement de l’Église s’effrite de plus en plus.

Mais, en même temps, la croyance en la survie après la mort ne connaît aucun recul. On croit qu’il y a quelque chose après la mort, mais on ne sait quoi. Les diverses croyances religieuses et ésotériques sont disponibles pour un usage libre et personnel, sans être assujetties à quelque contrôle ecclésiastique que ce soit. C’est le critère subjectif de leur utilité qui préside à leur choix.

Quel avenir pour l’Église et la foi chrétienne?

Un langage et des images d’un autre siècle, d’une autre culture

La religion chrétienne, avec ses symboles et ses rituels, est devenue une étrangère dans le Québec sécularisé et moderne. Son langage et ses images sont d’un autre siècle et d’une autre culture. On assiste d’ailleurs à un effondrement du catholicisme en termes de pratique liturgique, de transmission des vérités à croire ou des préceptes moraux à observer. Les gens sont ailleurs, affairées dans la Cité séculière.

Bien sûr, il y a encore des paroisses vivantes où des chrétiens se rassemblent pour célébrer le Jour du Seigneur, il y a des réseaux de chrétiens engagés, il y a de multiples services offerts dans le domaine de la charité chrétienne…  Autant de belles réalisations qui, dans la réalité, sont le fait de personnes plutôt âgées.

Qu’en restera-t-il dans une dizaine d’années? Inexorablement, la religion chrétienne en tant qu’institution s’éclipse dans la société actuelle. Mais qu’en est-il de l’Évangile ? De la foi chrétienne ? De l’Église Peuple de Dieu ?

L’engagement des laïcs : signe des temps et promesse d’Église

Le nombre de prêtres au Québec diminue de plus en plus. Cette diminution va sans doute encore s’accentuer au cours des prochaines années. Il n’y a encore aucune reprise prévisible à l’horizon. Heureusement, les laïcs au Québec occupent davantage de postes au sein de la pastorale ecclésiale et de la catéchèse.

En effet, depuis le Concile de Vatican II, les laïcs ont peu à peu pris conscience de leurs responsabilités dans l’Église en tant que membres à part entière du Peuple de Dieu.

Aujourd’hui, l’aspiration des laïcs chrétiens à prendre en mains la responsabilité de leur foi et à s’engager activement dans la pastorale ecclésiale est un véritable signe des temps et une promesse pour l’Église.

En raison de son baptême, tout chrétien, toute chrétienne a une vocation à la sainteté et à la mission de l’Église dans le monde. Comme l’a écrit Jean-Paul II, « Les fidèles laïques (…) ont la vocation et la mission d’annoncer l’Évangile : à cette activité ils sont habilités et engagés par les sacrements de l’initiation chrétienne et par les dons du Saint Esprit » (Christifideles laici, 1988). L’avenir de la foi au Québec repose en grande partie sur eux.

L’exemple contagieux de véritables communautés de foi et de partage

Au plan social, les chrétiens engagés en Église sont peu à peu passés d’une majorité sociologique à une minorité évangélique. Ils sont ainsi appelés à devenir une force au service de l’Évangile, comme le levain dans la pâte. Il en était de même dans l’Église primitive.

Bien que les premiers chrétiens n’aient pu compter sur des institutions religieuses, leur vie chrétienne était contagieuse, parce qu’elle était témoignage.

L’évangéliste Jean l’affirme clairement : « À ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples, à cet amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13,25). De son côté, Luc précise : « Avec puissance, les apôtres rendaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus et ils jouissaient tous d’une grande faveur auprès du peuple » (Ac 4,33).

Ils jouissaient d’une grande faveur parce qu’ils témoignaient par leur vie et par leur fraternité, par leur mise en commun et par leur prière. C’est là l’exemple de véritables communautés de foi et de partage.

Mais qu’en est-il de la masse des gens au Québec devenus indifférents par rapport à la foi chrétienne et souvent hostiles à l’Église institution?

Proposer du neuf / Inventer des moyens nouveaux

Dans ce terreau de la culture séculière au Québec, comment ouvrir de nouveaux sillons d’Évangile? Comment ensemencer de nouveau cette terre laissée en friche depuis quelques décennies? Car on ne peut plus présupposer la foi comme on le faisait dans les années 1940 et 50.

Le Pape Jean-Paul II le signalait dans l’exhortation apostolique L’Église en Amérique, « La foi ne peut plus être présupposée, elle doit aujourd’hui être proposée explicitement dans toute son ampleur et dans toute sa richesse ».

Dans le Québec d’aujourd’hui, la foi chrétienne ne peut plus être présupposée comme si rien n’était, il faut la proposer à neuf. Inventer des moyens nouveaux pour annoncer l’Évangile dans un monde nouveau. Trouver aussi de nouveaux mots puisés à même le vécu des gens d’ici, sans les obliger à sortir de leur culture pour entrer dans un monde qui leur est étranger.

Passer d’un héritage qui se transmettait spontanément de génération en génération, à la tâche d’éveiller et de faire croître une foi authentique qui prend racine au cœur de l’expérience des gens, particulièrement aux moments essentiels de leur vie. Promouvoir de nouvelles façons d’être chrétiens et de nouvelles expressions de l’Évangile dans des actualisations inédites de son message.

Pouvons-nous rêver de devenir les promoteurs d’un nouvel avenir de la foi chrétienne dans la société québécoise ?

Comme le levain dans la pâte

Il faut aider l’Église du Christ à renaître dans l’épaisseur de la culture d’ici. L’Église est appelée à passer d’une conscience de pouvoir à une conscience de service. Évangéliser, dans un contexte de sécularisation, c’est vraiment aider l’éclosion de ces nouvelles communautés de chrétiens en diaspora, conscients de la valeur et de la force de la Bonne Nouvelle qu’ils portent en eux et de sa capacité de transformer le monde.

Ce fut là exactement la situation des chrétiens de l’Église primitive. Ils étaient une petite minorité dans le vaste empire romain; ils n’avaient aucun pouvoir au plan social; ils ont pourtant réussi à transformer le monde.

Comme eux, il faut favoriser la formation de petites communautés ecclésiales de partage évangélique et d’expression de la vie de foi de chacun.

Il en existe plusieurs au Québec. Mais ses membres ne fréquentent pas régulièrement la paroisse.

Comment faire de la paroisse une communauté de communautés ecclésiales rassemblées le Jour du Seigneur pour la célébration dominicale? Et comment y faire naître de nouvelles formes d’expression de la foi au plan symbolique, rituel et liturgique?

Le chantier est très vaste et sa réalisation dépend du bon vouloir des chrétiens actifs et de leur engagement dans la renaissance de l’Église d’ici. La présence de l’Église sera alors être assurée par des chrétiens convaincus et qui ont à cœur de porter l’Évangile dans les lieux où se situent les grands enjeux du monde contemporain.

Répondre à la quête de spiritualité de nos contemporains

Notre société est, dit-on, affublée d’un grand vide spirituel. Un vide de l’âme et une soif de profondeur et de spiritualité que la société moderne ne réussit pas à combler par ses multiples biens de consommation. Cette recherche d’intériorité se manifeste, entre autres, dans le succès des certaines sectes et dans différentes pratiques ésotériques qui font miroiter des promesses de bien-être de l’âme et de guérison du corps.

Pourquoi a-t-on si vite oublié les trésors de spiritualité et de mysticisme que recèlent des sources bibliques comme les textes johannique ou encore les grandes épîtres de Paul. Dans la grande tradition patristique nous avons aussi à notre disposition un riche héritage de spiritualité et de mysticisme que nous pourrions avantageusement transmettre et partager. Pourquoi va-t-on chercher ailleurs des trésors que nous possédons chez nous?

Peut-être devrions-nous recréer des écoles de spiritualité chrétienne et des centres d’apprentissage de la vie spirituelle.

Le christianisme au service de la liberté véritable

Le message que nous avons à annoncer est essentiellement un message de libération. C’est ce que les premiers chrétiens voulaient dire quand ils parlaient de salut, de rédemption, de royaume. Libération pas seulement pour l’au-delà! Mais une libération à l’œuvre dans nos vies et dans notre histoire personnelle et qui nous appelle à transcender la mort. Le salut s’incarne d’abord dans le terrestre, avant de connaître son plein épanouissement dans le Royaume céleste.

Les premiers chrétiens ont été très attentifs à l’aujourd’hui du salut chrétien. Par exemple, Paul a mentionné toutes les servitudes, tous les esclavages de son temps, pour montrer comment le Christ en libérait par le dynamisme de sa résurrection.

Pour Paul, la Résurrection du Christ était perçue comme une force de dépassement, d’épanouissement, d’éclatement de la vie. Donc, comme un dynamisme fondamental de libération par rapport aux différents esclavages religieux, sociaux et culturels. Et par le fait même, comme un dynamisme de salut, de bonheur, de réalisation de soi.

Quel est le message que nous annonçons?
Est-ce que nous mettons un lien entre notre message de libération et la Résurrection du Christ?
Est-ce que cette libération que nous annonçons se situe au cœur des situations d’aliénation des gens d’aujourd’hui?
Savons-nous annoncer une Bonne Nouvelle qui soit inspiratrice de liberté et qui engendre la joie et le bonheur de vivre?
Si non, comment croyons-nous pouvoir atteindre le peuple dans son vécu?

Le sens chrétien de la vie est à redécouvrir constamment

Une conséquence majeure de la sécularisation, c’est que le sens chrétien de l’existence n’est plus un tout donné au départ. Toutes les réponses ne sont pas fournies comme autrefois dans le contexte de chrétienté.

Le sens chrétien de la vie est à redécouvrir constamment dans les nouveaux conditionnements culturels et dans les nouveaux contextes sociaux.

Notre propre vision chrétienne du monde est à refaire constamment et graduellement, au gré de l’évolution et du changement.

Notre propre cohérence personnelle est sans cesse à retrouver et à rebâtir, à fortifier, tout au long d’une démarche de plus en plus évangélique. La mission d’évangélisation sera impossible si on ne refait pas d’abord en soi une nouvelle cohérence évangélique.

En conclusion

Promouvoir l’éclosion de nouvelles communautés chrétiennes

Évangéliser, dans un contexte de sécularisation, c’est aider l’éclosion de ces nouvelles communautés de chrétiens en diaspora, conscients de la valeur et de la force de la Bonne Nouvelle qu’ils portent en eux et de sa capacité de transformer le monde.

Ce fut là  la situation des chrétiens de l’Église primitive. Ils étaient une petite minorité dans le vaste empire romain; ils n’avaient aucun pouvoir au plan social; ils ont pourtant réussi à transformer le monde. Comment aider nos milieux respectifs à passer de la paroisse-collectivité à une véritable communauté de foi? Car la communauté de foi est une conditions préalable à tout évangélisation et à toute croissance dans la foi.

Sans communautés vivantes qui témoignent de l’Évangile, l’éveil et l’éducation de la foi sont des missions impossibles. Le désir de la foi se développe normalement dans des communautés qui ont un véritable goût de la foi.

« Voyez comme ils s’aiment », devrait-on dire de nos regroupements

Pouvons-nous constituer de petites communautés ecclésiales pour proposer à neuf l’Évangile et accompagner des gens en démarche de conversion à la foi chrétienne?

Pouvons-nous consacrer du temps à l’accompagnement d’itinéraires personnels diversifiés, faisant appel à la liberté des personnes et misant sur l’adhésion volontaire à Jésus Christ?

Pouvons-nous mettre sur pied de petites communautés de base appelées à devenir des centres de rayonnement de la vie évangélique, de la fraternité chrétienne, de la vie spirituelle et de l’engagement apostolique; en résumé des petites cellules ecclésiales à l’instar des premières communautés chrétiennes dont il est question dans le livre des Actes (cf. Ac 2,42)?

« Voyez comme ils s’aiment », devrait-on dire de nos regroupements. Devenir des communautés de témoignage évangélique et d’interpellation. Des communautés appelées à être des signes prophétiques. Pouvons-nous relever un tel défi?