La Sainte Trinité et la quête de l’être humain

Au contact de cette Présence en nous, notre possessif se transformera en moi oblatif, en moi aux couleurs du don.

Cet article s’inspire à titre particulier d’une retraite prêchée au Vatican par Maurice Zundel publiée sous le nom de « Quel homme et quel Dieu? » (Éditions Saint-Augustin, Saint Maurice, Suisse) ainsi qu’une conférence donnée par Maurice Zundel en janvier 1974 à Maurepas sous le nom de « Le problème que nous sommes ».

Introduction

Nous ne sommes guère habitués, il faut l’avouer, à envisager les problèmes de l’être humain à la lumière de la Sainte Trinité, ce que Maurice Zundel n’hésite pas à qualifier de sommet de la révélation chrétienne.

Étonnamment, la foi en ce mystère apporte une réponse toute particulière au problème de l’homme en quête d’humanité.

Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. (Jn 4,24)

Allez! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.
(Mt 28,19)

Le problème du moi possessif

Nous sommes tous infectés par notre moi possessif avec lequel nous nous sommes identifiés depuis notre enfance.

Sans aller jusqu’à l’idolâtrie qu’un Hitler ou un Staline entretenaient autour de leur personnage, n’importe qui peut détecter en soi un narcissisme au petit pied, qui le fait graviter sans fin autour de soi. (Maurice Zundel)

Le grand psychanalyste français Hesnard affirmait que l’instinct fondamental de l’être humain consiste à se faire valoir à ses propres yeux et au regard d’autrui.

On se souvient sans doute de la scène de l’Évangile où des disciples de Jésus discutent entre eux pour débattre de qui est le plus grand. (Mc 9,34)

Fait notable, Jésus ne s’opposa pas à leur désir de grandeur, il le situa plutôt à l’opposé d’une volonté de domination :

S’étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » (Mt 9,35)

À la recherche du fondement de notre valeur

L’être humain a le pressentiment de sa valeur, voire d’une Valeur absolue qui l’habite.

Il suffit notamment qu’une personne cherche à nous humilier ou à nous diminuer pour que la volonté de se porter à la défense de notre valeur s’affirme presque instinctivement.

Et pourtant, Maurice Zundel n’hésitera pas à affirmer que l’être humain peine à fonder et à situer l’absolu qu’il pressent en lui.

Nous sommes écartelés entre le pressentiment d’une valeur absolue en nous – qui peut seule fonder notre autonomie – et notre impuissance à la saisir. Nous l’affirmons contre les autres avec acharnement. Rendus à nous-mêmes, nous nous trouvons incapables de l’identifier. (Maurice Zundel)

Chose certaine, la volonté de construire notre estime de soi par le dehors, sous le modèle d’une vision pyramidale où l’on se place au sommet par rapport aux autres, ruine à coup sûr le projet d’une grandeur intérieure à soi.

Étonnamment, « c’est, précisément, à cette quête de grandeur, irrépressible sans jamais aboutir, que la révélation trinitaire offrira une issue totalement imprévisible. » (Maurice Zundel).

La Sainte Trinité au fondement de notre identité et de notre véritable grandeur

« Dieu est Amour » (1 Jn 4,16). Il ne l’est pas seulement par rapport à nous et tout l’univers créé : Il l’est en soi, dans sa propre intimité, essentiellement, infiniment, éternellement.

Comme, d’ailleurs, l’amour n’est vraiment lui-même que dans la relation à un autre qui le constitue : pour pouvoir être charité, l’amour doit tendre vers un autre, écrit le pape saint Grégoire, dire que Dieu est Amour, c’est dire que son intimité est constituée par ce mouvement vers l’autre sans lequel il n’y a pas d’amour. C’est donc affirmer que Dieu trouve l’autre en soi, qu’il possède, par soi, tout ce que requiert la plénitude de l’amour qu’il est.

(Maurice Zundel)

En opposition à notre prise de conscience narcissique, la Trinité divine présente une prise de conscience altruiste.

Dieu n’a de prise sur son être qu’en le communiquant, il ne le possède que par le don qu’il en fait.

Le moi en Dieu, loin donc d’être solitaire et narcissique, jaillit en trois relations subsistantes – Père, Fils et Saint-Esprit – dont chacune embrasse la totalité de l’être divin, pour le donner dans la transparence absolue d’un éternel dépouillement. « Où trouver ici le moindre égoïsme? » écrit le Père Garrigou-Lagrange. Le moi n’est plus qu’une relation subsistante à celui qui est aimé […]. Ces trois personnes divines, essentiellement relatives l’une à l’autre, constituent l’exemplaire éminent de la vie de la charité.

(Maurice Zundel)

La Sainte Trinité révèle la véritable grandeur qui ne fait qu’une avec l’amour.

Il ne s’agit plus d’avoir des rapports de domination ou de compétition avec les autres.

La Sainte Trinité nous invite à une autre échelle des valeurs et à un autre mode de relation avec les autres : le don de soi qui constitue la perfection de l’amour.

La Sainte Trinité au fondement de notre liberté véritable

Au sein de la Trinité, le moi est une pure relation à l’autre.

Elle nous trace le sens de notre liberté qui consiste à nous libérer de notre moi possessif.

Notre propre grandeur ne pourra se réaliser que par un don total, qui saisira notre être dans ses ultimes racines « pour le tourner vers son Soleil ».

Ce Soleil est d’ailleurs caché au fond de nous-mêmes.

(Maurice Zundel)

Dès que notre moi possessif perd de son prestige et cesse de nous aveugler, l’absolu en nous commence, au plus profond de nous-même, à être reconnu comme Quelqu’un, à qui nous pouvons dédier l’offrande de nous-mêmes.

Il existe en nous, comme en tout être humain, une Présence mystérieuse, un Ami intérieur, un Trésor, un Appel, un Infini, qui est appelé peu à peu à devenir le centre de notre intimité.

Ne le savez-vous pas? Votre corps est un sanctuaire de l’Esprit Saint. (1 Co 6,19)

Nous aurons un dedans dans la mesure où nous serons engagés dans un dialogue d’amour avec Quelqu’un qui est plus intime à nous-mêmes que le plus intime de nous-mêmes. (Maurice Zundel)

Au contact de cette Présence en nous, notre possessif se transformera en moi oblatif, en moi aux couleurs du don.

N’avoir plus à chercher le ciel derrière les étoiles, mais au-dedans de soi, cela crée une merveilleuse proximité avec cette Présence infiniment discrète, qui nous attend au fond de nos cœurs comme « une musique silencieuse » (Saint Jean de la Croix).

Il y a Quelqu’un au plus intime de nous qui est l’Infini, que nous pressentons dès la première approche de notre humanité. Il y a Quelqu’un qui n’est pas nous, mais qui est en nous le plus intime de nous, ce qu’Augustin a dit dans le couplet merveilleux: « Tard je t’ai aimée, Beauté si antique et si nouvelle, tard je t’ai aimée, et pourtant Tu étais dedans, c’est moi qui étais dehors où je Te cherchais en me ruant sans beauté vers ces beautés que Tu as faites. Tu étais avec moi, c’est moi qui n’étais pas avec Toi. »

(Maurice Zundel)                       

Un Infini qui est le seul chemin vers nous-mêmes, qui est le grand secret d’amour au fond de nous-mêmes, qui est la Vie de notre vie.                      

Un Infini qui nous apprend à nous libérer de nous-mêmes en nous donnant.