Le Royaume, cœur de la prédication de Jésus

Premier d’une série de deux articles sur le thème du Royaume.
Toute l’activité de Jésus fut orientée vers l’annonce du Royaume au point que son enseignement tire de là son unité fondamentale.

Un homme « pas ordinaire » et son message

Vers l’an 28 de notre ère, un Juif du nom de Jésus se mit à prêcher publiquement en Palestine et à proclamer un message original, voire bouleversant, pour beaucoup de ses contemporains.

L’originalité et la puissance de sa parole ont vite fait d’attirer à lui une foule de gens, surtout parmi le petit peuple.

L’évangéliste Marc nous signale que ces gens « étaient vivement frappés de son enseignement, car il les enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes » (Mc 1,22).

En quoi consistait le message de cet homme pour provoquer tant de remous dans son milieu? Soulignons-le, un thème central revenait constamment, tel un refrain, dans la prédication de Jésus : le « Royaume de Dieu ».

Toute l’activité de Jésus fut orientée vers l’annonce du Royaume au point que son enseignement tire de là son unité fondamentale.

Or, qu’est-ce que veut dire « Royaume de Dieu » ?

Pourquoi Jésus parle-t-il du « Royaume »?

Le terme « Royaume » (du grec basileia) revient avec une telle fréquence dans les discours de Jésus rapportés par les Évangiles synoptiques, que l’éliminer, ce serait enlever la clef de voûte du message global de Jésus.

Pourquoi Jésus a-t-il fait du « Royaume » le centre de son enseignement? Car il faut l’avouer, ce concept de « Royaume » comporte pour nous, contemporains, d’énormes ambiguïtés. Au fait, ce concept peut aussi bien évoquer l’idée d’un pouvoir tyrannique que le rêve chimérique d’un bonheur paradisiaque.

Si Jésus avait vécu au vingtième siècle, on peut parier, sans trop risquer de se tromper, qu’il aurait choisi un thème plus ajusté à nos expériences actuelles de vie : libération, fraternité universelle, etc.

Bien que son message soit universel, il n’en demeure pas moins que Jésus s’adressait aux hommes et femmes de son temps : des citoyens juifs, en Palestine, il y a vingt siècles. Or, à cette époque, le concept du Royaume de Dieu jouissait d’une puissance évocatrice exceptionnelle.

Un sujet d’une puissance évocatrice

Au temps de Jésus, le concept de « Royaume de Dieu » jouissait d’une puissance évocatrice exceptionnelle que nous avons grand peine à imaginer aujourd’hui.

Il évoquait en effet les idées de fécondité, de libération, de victoire, de justice, de paix, de rassemblement fraternel, de réconciliation, de communion avec Dieu, d’éclatement de la vie et de festin éternel.

Ce mot était comme un condensé des espérances les plus fondamentales du peuple d’Israël. De plus, ce concept était tellement familier aux Juifs du temps de Jésus que ni lui ni les Évangélistes n’ont cru bon devoir en donner une définition.

Et pourtant, quand Jésus a commencé à prêcher, les représentations que ses contemporains se faisaient du Royaume étaient complexes. Cette notion était, de fait, interprétée de multiples façons…

Les principales conceptions du Royaume véhiculées au temps de Jésus

Il est important de souligner que Jésus n’a accepté intégralement aucune de ces conceptions du Royaume. Il a bien sûr emprunté aux différents courants de pensée de son temps, mais sans pour autant adhérer complètement à aucun d’eux.

Le courant de pensée qui a le plus influencé Jésus dans sa prédication du Royaume fut sans doute le message de Jean-Baptiste avec sa vue d’un Royaume pour la fin des temps (Mt 3,1-12). Mais qui dit influence ne dit pas assimilation.

En effet, Jésus s’est situé dans une ligne passablement différente de celle de Jean-Baptiste. Peu à peu, il a dévoilé une conception personnelle et originale du Royaume et il l’a enseignée tout au cours de sa vie sans ambiguïtés ni compromissions.

Jésus annonce la venue imminente du Royaume eschatologique

L’eschatologie (du grec eschatos, « dernier », et logos, « parole », « étude ») est le discours sur la fin des temps.

Jésus a placé son espérance dans la venue du Règne eschatologique de Dieu. Bref, Jésus attendait une intervention finale et décisive de Dieu dans l’histoire pour ainsi réaliser le salut des êtres humains et rétablir la relation parfaite avec Dieu.

Cette attente du Royaume eschatologique n’est pourtant pas à confondre tout bonnement avec l’attente de la fin du monde. Car ce que Jésus attendait d’abord et avant tout, c’était une intervention extraordinaire de Dieu qui constituerait un sommet de l’activité divine dans l’histoire humaine.

L’originalité du message de Jésus

La grande nouveauté de la prédication de Jésus fut d’annoncer que ce Royaume eschatologique était tout proche, à portée de main, à la veille de surgir : « Les temps sont accomplis et le Royaume de Dieu est tout proche, convertissez-vous » (Mc 1,15). Ce fut là une nouvelle sensationnelle qu’il a proclamée dès le début de sa prédication.

Ce Royaume de Dieu que plusieurs attendaient pour la fin du monde allait enfin apparaître. Il pointait déjà à l’horizon. Il était donc urgent de se préparer à l’accueillir avant qu’il ne soit trop tard.

Cette première grande nouvelle n’a pas été sans étonner plusieurs contemporains de Jésus. Il annonçait que le grand rêve du peuple juif était à la veille de se réaliser. Un tel message ne pouvait laisser personne indifférent et, de fait, il a bouleversé beaucoup de gens.

Si, à partir des Évangiles, on essaie de comprendre ce qui se passait dans la conscience de Jésus, en ce début de prédication, on a l’impression que ce prophète juif était convaincu qu’un événement spécial était à la veille d’arriver sous forme d’une intervention décisive de Dieu. Il avait conscience d’avoir reçu mission, tant d’annoncer cette intervention imminente que de préparer ses contemporains à l’accueillir pleinement. De là origine sa prédication sur le Royaume.

Un Royaume… mais de quel genre ?

Mais sous quelle forme se présenterait donc le Royaume de Dieu annoncé par Jésus?

D’après les textes évangéliques, Jésus entrevoyait le Royaume comme une réalité qui viendrait d’en haut et qui dépendrait d’un acte divin pour y établir un nouvel ordre de choses. Il s’agirait de quelque chose d’inédit, d’insoupçonné, d’entièrement neuf. Un nouvel avenir allait être offert aux êtres humains, grâce à Dieu.

Un Royaume, de plus, qui ne serait pas le fruit de l’effort des êtres humains. Il ne prendrait pas la figure d’un royaume terrestre qui s’implanterait peu à peu selon la loi de l’évolution naturelle des facteurs humains et cosmiques. Ce Royaume eschatologique allait être donné par Dieu par une sorte de miracle spécial de sa bienveillance et de son amour. Il s’implanterait dans notre univers mais il serait différent des réalités terrestres et actuelles.

Il serait en quelque sorte une réalité d’un autre monde, qui appelle les êtres humains à un dépassement de leurs espoirs trop humains et de leurs prospectives à courte vue. En prêchant le Royaume, Jésus proposait finalement à l’homme une espérance sans précédent, capable de donner signification au pari de l’existence humaine.

Dans cette perspective d’attente d’un événement nouveau et exceptionnel, d’une sorte de fin des temps, on comprend que Jésus ait appelé les gens à se convertir, c’est-à-dire, à changer leur mentalité et à se tenir prêts à accueillir l’intervention spéciale de Dieu. Puisque la promesse d’un temps nouveau va se réaliser, puisque le temps presse, il faut se convertir avec hâte, avec urgence. C’est le défi de l’heure.

Un appel à la conversion lancé à tous

Cet appel à la conversion, Jésus ne l’a pas adressé seulement aux pécheurs, mais aussi et peut-être davantage aux Pharisiens. Ces prétendus justes étaient pratiquement sûrs de posséder la vérité et se fermaient par le fait même à toute nouveauté qui n’entrait pas dans le cadre de leurs spéculations théologiques et qui menaçait de déranger leur quiétude religieuse et morale.

Ces gens-là, plus que les pécheurs, étaient, aux yeux de Jésus, incapables d’accueillir le Royaume parce que, croyant tout posséder, ils n’attendaient plus rien. Il se pensaient les dépositaires du Royaume.

À tous, Jésus demande de se convertir et de devenir comme des enfants en face d’une nouveauté : « En vérité, je vous le dis, si vous ne devenez comme des petits enfants, vous ne pourrez entrer dans le Royaume de Dieu » (Mt 18,3)

Les enfants, eux, ne sont pas ancrés dans leur passé et leur tradition : ils sont souples en face du changement, ils sont attentifs et confiants devant la nouveauté. C’est fondamentalement cette attitude que Jésus a désiré voir adopter par ses contemporains à l’égard du Royaume à venir. Son appel à la conversion était donc fondé directement sur sa conviction que le Royaume allait surgir d’un instant à l’autre.

Jésus inaugure le Royaume

Dans sa prédication, Jésus n’a pas seulement fait qu’annoncer l’imminence du Royaume. Il a eu conscience de l’inaugurer.

Peu à peu, il a dévoilé à ses contemporains que le Royaume qu’on attendait pour la fin des temps commençait à se réaliser par lui, tant dans sa prédication, dans ses gestes, que dans sa manière d’être.

En d’autres termes, Jésus était conscient d’être en possession d’une puissance divine et de concourir ainsi, par son action, à l’avènement du règne eschatologique de Dieu.

Dieu se fait proche en Jésus

Plusieurs paroles, dont l’origine remonte vraisemblablement à Jésus, nous montrent que, dans la pensée de Jésus, le Royaume était une réalité déjà présente, comme un commencement qui doit déboucher ultérieurement sur un accomplissement final.

Voici quelques textes révélateurs à ce sujet :

Tous ces miracles, on les attendait pour la fin des temps, selon l’interprétation courante de plusieurs textes de l’Ancien Testament. Si Jésus accomplit toutes ces actions, c’est que le Royaume commence déjà à se réaliser.

C’est l’aurore du temps du salut. Les miracles sont donc les signes que Dieu a commencé à agir de façon spéciale par l’intermédiaire de Jésus.

L’arrivée du Royaume signifie le recul de la maladie et de toutes les aliénations de l’homme exprimées par la formule « possession du démon ». Par sa parole, ses miracles, ses actions et sa manière d’être, Jésus signifie que le Royaume de Dieu est déjà agissant et repérable.

Jésus, signe de l’amour miséricordieux de Dieu

Les miracles ne sont pas les seuls signes de l’arrivée du Royaume. Il y a aussi le pardon sans condition accordé aux êtres humains : « Mon enfant, tes péchés sont remis » (Mc 2,5).

Le don du pardon de Dieu était le bien suprême qu’on attendait. Jésus, par sa conduite et ses paroles, manifeste aux pécheurs que ce pardon leur est accordé. Cet amour de Dieu pour les pécheurs est signe du Règne eschatologique.

Des paraboles qui parlent du Royaume

Dans plusieurs paraboles, celles dites paraboles de croissance, Jésus annonce de façon symbolique que le Règne de Dieu est déjà à l’œuvre ici-bas :

L’activité de Jésus durant son ministère terrestre consiste à semer le grain qui va produire du cent pour un (Mc 4,1-19), ou à déposer le levain dans la farine pour faire lever toute la pâte (Lc 13,20-21), ou à jeter un grain de sénevé en terre d’où surgira un arbre (Mc 4,30-32), etc.

Toutes ces paraboles montrent que le Royaume est vraiment inauguré dans l’activité de Jésus, mais qu’il n’est pas encore pleinement réalisé.