Et si c’était bien plus que le « Petit Jésus » …

Dans certains milieux, le mot Noël provoque de l’urticaire. Pourtant la réalité qu’il sous-tend n’en est pas moins porteuse d’un cadeau pour l’humanité en mal de fraternité. Et si Noël était plus qu’une image surannée, si Noël n’était pas qu’en arrière, mais en avant de nous…

Ce ne sont pas les paradoxes qui manquent

Ce n’est un secret pour personne, la société québécoise est plurielle et se veut laïque. Il ne faut pas alors s’étonner de voir la fête de Noël nous glisser entre les doigts. Je pense par exemple au laïcisme à tous crins qui veut se débarrasser de tout ce qui concerne la religion catholique et à tout ce qui s’y réfère comme la fête de Noël.

Le simple mot Noël semble donner de l’urticaire à quelques-uns. Par exemple il ne faudrait plus dire un arbre de Noël, mais plutôt un arbre de lumière! Il ne faut pas dire Joyeux Noël, mais Joyeux temps des fêtes en oubliant surtout de bien préciser ce que l’on fête. Mais alors, pourquoi ces souhaits?

Par ailleurs il y a la machine commerciale qui sans scrupule en utilise tous les symboles pour mousser ses intérêts. Ici non plus ce ne sont pas les paradoxes qui manquent.

Un peu de décapage

Il y a peut-être un peu de décapage à faire et on ne devrait pas rater l’exercice. Voilà qui pourrait aider à retrouver la dynamique qui a donné naissance à la fête. Certains de ses aspects lui ont permis de durer et d’être encore bien vivante.

Sans en refaire toute l’histoire, il suffit de rappeler que la fête de Noël est née en Occident au milieu du quatrième siècle, au moment où l’on sort des persécutions. Pour faire court, disons qu’avec l’empereur Constantin qui est devenu chrétien, les institutions et la culture se christianisent.

D’abord une fête populaire

Les Romains connaissaient la fête du solstice d’hiver. Alors que le soleil invaincu recommence à dominer la nuit, on rendait culte et hommage au soleil et à la figure de l’empereur qui en était l’image. Sa domination sacralisée allait être remplacée par celle du Christ pascal.

D’ailleurs dès le 2e siècle, chez les chrétiens orientaux on avait déjà intégré dans la liturgie une fête de l’illumination du Christ à l’occasion des fêtes civiles du solstice d’hiver : l’épiphanie (épiphaneia en grec), la manifestation du Christ au monde.

Célébrer le Jésus historique

Faut savoir aussi qu’à l’époque, les chrétiens ne célèbrent qu’un unique mystère pour reprendre leur vocabulaire, à savoir la résurrection du Christ. On ne solennise pas encore les grandes étapes de la vie du Jésus historique, même en Orient. L’occasion de le faire allait être offerte à Rome avec la christianisation du solstice.

Originalité occidentale, on lui associe le souvenir de la naissance du Christ. C’est dans ce contexte, à la fois très festif et populaire, que s’impose la fête du Natale, la naissance, ce qui nous a donné le mot Noël en français.

Une fonction sociale

Par ailleurs, si la célébration de la victoire du soleil devient celle de la Résurrection du Christ et de son Incarnation, elle n’en a pas moins conservé sa fonction sociale et son potentiel politique dont l’une des valeurs profondes est celle de la rencontre des humains que nous sommes. Il ne faudrait pas bouder notre plaisir et trouver là un bon argumentaire pour entretenir et conserver la fête de Noël dans nos sociétés laïques.

C’est ainsi qu’à travers les aléas de l’histoire et des pratiques chrétiennes, nous nous retrouvons héritiers de traditions culturelles et folkloriques. Les arts visuels et musicaux inspirés par Noël en sont une éloquente illustration.

Les rassemblements

La fête a aussi engendré des pratiques comme celle des rassemblements. Il y a ceux qui se vivent en famille, il y a aussi les légendaires parties de bureau, mais il en est un qui prend de plus en plus d’ampleur, celui de la guignolée.

Cette vieille tradition d’entraide et de partage née au 19e siècle chez les francophones canadiens suscite tout un réseau de solidarité. Des bénévoles de tous les milieux se rassemblent et deviennent une main tendue aux sans-travail, à ceux et celles qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts.

C’est trop ponctuel disent certains esprits chagrins, mais le geste est là. Il n’en montre pas moins la fonction symbolique de la fête de Noël dans notre imaginaire collectif.

Nos pratiques nous conduisent alors au-delà d’une image si facilement surannée, sacralisée, décriée même, celle du Petit Jésus. Noël brise des solitudes et nourrit la communion. À ce seul titre, il a sa place dans nos institutions.

Un temps de rupture

Noël est porteur d’une rupture. La fête – toute fête – provoque une rupture dans le quotidien, nous apprennent les anthropologues. Qui dit rupture, dit aussi ouverture à autre chose. C’est ainsi que Noël, offrant un autre regard, permet une possible relecture du monde, de son histoire et de son avenir.

Tout de même, le croyant – ici un peu privilégié – sait pour sa part que Noël a déjà opéré une rupture dans l’histoire de l’humanité. Elle n’est plus la même depuis que le germe du Règne de Dieu y a été déposé avec cet enfant accueilli dans une certaine nuit de Bethléem. Mais cet enfant n’était pas que le Petit Jésus.

Il faut conserver à la fête de Noël sa force de rupture.

Un cadeau à l’humanité

Noël est un cadeau offert à l’humanité en mal de fraternité. Nos modèles sociaux sont épuisés et trop peu en inventent d’autres. Pourtant, le regard des enfants de demain nous interroge. Et si la réponse était là. Si cette naissance que nous célébrons était non pas en arrière dans un passé à oublier, mais en avant de nous.

Ici je pense à cette invitation de Jean-Yves Quellec :

Allons où Jésus vient,
il vient pour les petits qui pleurent parce qu’il sont abandonnés dans un camp de réfugiés,
il vient dans les logis sans chaleur parce que l’amour est mort,
il vient dans les pays ravagés par la haine,
il vient sur les places publiques où nul n’a de visage,
il vient au chevet de ceux qui agonisent que personne n’embrasse, que nul main ne touche…

Allons où Jésus vient et nous serons illuminés.