Pour que je naisse à moi-même

L’intimité : un appel à se découvrir et à se laisser découvrir dans ses profondeurs. Pas de présence de Dieu sans intimité avec lui. C’est par l’intimité que naît et grandit notre cœur. Jésus était proche de son Père. Tout l’Évangile témoigne de cette intimité. L’abandon et la confiance sont certes le chemin de la connaissance de Dieu, celle qui passe par le cœur.

Texte d’un entretien de Nick Boucher, c.s.v., dans le cadre d’une rencontre en Abitibi, Québec. Le style parlé a été conservé.

Introduction

Débutons par un très beau texte de Ben Sirac le Sage. Ce texte servira de trame de fond à notre entretien :

Auteur : Bernadette Lopez
evangile-et-peinture.org

Mon fils, accomplis toute chose dans l’humilité,
et tu seras aimé plus qu’un bienfaiteur.
Plus tu es grand, plus il faut t’abaisser :
tu trouveras grâce devant le Seigneur.

La puissance du Seigneur est grande,
et les humbles lui rendent gloire.
La condition de l’orgueilleux est sans remède,
car la racine du mal est en lui.
L’homme sensé médite les maximes de la sagesse;
l’idéal du sage, c’est une oreille qui écoute.

Ben Sirac 3,17-18.20.28-29

Si vous le permettez, je voudrais approfondir avec vous le sens du mot « intimité ». Ce mot recèle divers niveaux de profondeur. À titre d’exemples :

L’intimité, un appel à l’altérité

L’intimité, qu’est-ce à dire? Tout simplement ceci : se découvrir et se laisser découvrir dans ses profondeurs.

Chantal De Serres
« Aux profondeurs »
www.galerierichelieu.com

Se laisser regarder demande un vis-à-vis. L’intimité fait appel à l’altérité. Pas de regard autre que le sien si le vis-à-vis est absent… le risque est grand de tomber dans le nombrilisme. Le risque est également grand de m’imaginer comme je voudrais être et non comme je suis réellement. Souvent, je me voudrais tellement autre… Si j’étais Dieu, je m’aurais peut-être fait différemment. Je refuse souvent d’être ce que je suis.

Un psaume (Ps 8) nous dit : « à peine nous a-t-il fait moindre qu’un dieu. Quelle merveille que je suis! ». En mes mots je pourrais dire : je suis un hymne à la gloire de Dieu parce que je suis son chef-d’œuvre.

Sans intimité avec moi-même et avec Dieu, que puis-je dire au monde à propos de Dieu?

Avec quelle image de moi-même est-ce que je m’adresse aux gens?… avec une image faussée, idéalisée ou vraie? Comment me comprendre si je rejette l’image réelle de moi?

L’intimité est le dévoilement de son être. Heureux êtes-vous si vous avez un ami-confident! Devant lui, votre livre intérieur est tout grand ouvert et vous lisez certaines pages en sa présence. Vous lisez les pages que vous voulez bien lui offrir afin de nouer une relation d’intimité!

La personne est grande sous le regard d’un véritable ami et celui du Tout-Autre. Le dévoilement de son être se réalise dans la confiance, dans l’abandon et sous le regard de Quelqu’un. Je suis intime avec quelqu’un lorsque mon cœur s’adresse au cœur de l’autre. L’intimité n’est pas une discussion intellectuelle.

Dans l’intimité, l’autre n’est qu’écoute et silence. L’intimité, c’est le regard de l’autre dans notre vécu. L’intimité, c’est le partage et le dévoilement de ce que nous sommes dans nos profondeurs.

Je dessine mon visage intérieur en présence de l’autre : voici comment je le perçois en ce moment devant lui. Une parole jaillira de mes profondeurs et sèmera une lumière chez l’autre. L’écoutant saisit ma « température intérieure », il me devine dans telle ou telle saison. Il m’écoute afin de savoir si je suis bien ajusté dans ce que je vis.

L’intimité comme langage du cœur

L’intimité? C’est le langage du cœur. Le cœur ne raisonne pas, il se dit, il se livre. L’intimité est comme une offrande. Le cœur a son langage : ses joies, ses peines, ses doutes, ses échecs, ses difficultés, etc. Parler de tout cela à quelqu’un ne va pas de soi.

S’ouvrir fait appel au courage et à la confiance en soi et en l’autre. Il peut être pénible en effet de se laisser regarder! Faites-en l’expérience : placez-vous devant quelqu’un et laissez-le vous regarder sans dire un mot. Il est fort à parier qu’un malaise surgira. Une gêne, un sourire en coin et peut-être même une certaine culpabilité ou honte fera son apparition.

Nous éprouvons une crainte à l’effet que l’autre découvre notre jardin secret avec ses zones d’ombre et de lumière. Je me souviens d’une personne ayant commis un grand crime qui me disait : « si tu me connaissais vraiment, tu aurais peur de me parler et de me recevoir dans ton bureau ». Je lui dis tout doucement : « ton cœur est plus beau et plus grand que tous tes actes criminels ». « C’est ton cœur qui m’intéresse, pas tes gestes passés ». Il se mit à pleurer et me dit : « Je voudrais que dans nos rencontres tu m’aides à retrouver ma paix d’enfance ».

Il ne s’agit pas de réaliser simplement des projets ensemble pour que l’intimité naisse. Avant de réaliser des projets, ne faudrait-il pas connaître le cœur de l’autre et prendre le temps de se fréquenter? Nous avons besoin de regarder dans la même direction. L’intimité se réalise grâce à la parole qui sourd en soi, par une qualité du regard et une écoute attentive.

Se découvrir dans le regard de l’autre

L’intimité se construit au fur et à mesure que je me façonne dans le regard de l’autre. Il est possible que j’aie peur que l’autre me rejette, m’abandonne ou me juge parce que ma maison est en désordre. Cependant, ordonné ou désordonné, mon vécu tel qu’il se présente est une offrande à l’autre.

Je me souviens d’une personne itinérante qui me disait : « j’ai peur que tu t’approches de mon intérieur; mes sentiments sont comme des cadavres en moi; ils ne finissent pas de se décomposer; j’ai l’impression que je pue lorsque je te parle, c’est pourquoi je préfère garder le silence. » Ou un autre qui me disait : « Nick, je n’ai rien d’autre à te partager que mes souffrances, mes hontes, mes peines et mon désespoir; veux-tu les écouter? »

Posséder un cœur amoureux afin de regarder l’autre avec émerveillement. L’intimité, c’est aussi rechercher la présence de Dieu dans la vie de l’autre. Ce regard entend discerner ce que l’autre ne voit pas ou ne soupçonne même pas. En thérapie, on me dit souvent : « si tu me connaissais vraiment je ne suis pas certain que tu continuerais à me rencontrer ».

Pas d’intimité sans laisser tomber ses masques. Rester avec ses masques peut occasionner de l’angoisse, de l’anxiété et une profonde tristesse. Je peux montrer un visage heureux, paisible et calme alors qu’en fait un champ de bataille faire rage en moi. Tôt ou tard, tout éclatera comme un volcan…

Un jour, les masques tombent. La personne est sans défense, démunie, fragile et vulnérable. Elle craint d’être attaquée. Elle vit sur la défensive.

Vivre l’intimité, c’est laisser parler son intérieur; déposer son cœur dans le cœur de l’autre. C’est peut-être cela le sacrement de la réconciliation…

L’amour fait naître l’autre à lui-même. Sans amour on ne peut grandir. Nous vivons toujours plus ou moins profondément dans le cœur de quelqu’un d’autre. Saisir l’amour du cœur de l’autre afin de s’enraciner dans la relation.

Je me sais faillible, fragile et vulnérable. À cause de cette fragilité je compte sur l’autre. La confiance et l’abandon en l’autre naissent parce que je le vois comme un ami précieux. La confiance et l’abandon sont également fonction de celles que je m’accorde.

Bref, on pourrait résumer en disant que l’intimité se mesure à la profondeur de notre plongeon. L’intimité avec autre que soi permet de mieux se voir et ainsi de mieux se connaître. Être intime, c’est se laisser regarder, c’est désirer un regard profond qui devine la beauté de mon être… ainsi s’installe la paix.

Pas de présence de Dieu sans intimité avec lui. C’est par l’intimité que naît et grandit notre cœur. Jésus était proche de son Père. Tout l’Évangile témoigne de cette intimité. L’abandon et la confiance sont certes le chemin de la connaissance de Dieu, celle qui passe par le cœur.