Lire ou ne pas lire le « Da Vinci Code » ?

Quels sont les enjeux et les défis que pose aux croyants le Da Vinci Code? Un roman est-il parole d’évangile?

Introduction

L’engouement planétaire pour le Da Vinci Code de Dan Brown fait que, si on ne l’a pas encore lu, on se demande si on est bien normal et s’il n’est pas grand temps de s’y mettre : plus de 50 millions d’exemplaires vendus, ce qui pourrait vouloir dire près de 200 millions de lecteurs.

Bien sûr, ce n’est pas parce que tout le monde l’a lu qu’il faudrait le lire. Mais je ne vois pas non plus comment on pourrait déconseiller et encore moins interdire de lire ce roman, sous prétexte qu’il est offensant pour les chrétiens et les catholiques en particulier. Après tout, ce n’est qu’un roman !

Les réflexions que je propose ici visent seulement à mieux définir certains des enjeux du roman et des défis qu’il nous pose à nous, croyants. Allons-y par étapes, sans toutefois prétendre à l’exhaustivité.

Un roman à lire d’abord… comme un roman

La lecture d’un roman demeure d’abord un divertissement, et je ne vois pas pourquoi on aborderait le Da Vinci Code autrement. On sera peut-être perplexe, déstabilisé, ou sceptique quant à son interprétation de l’histoire de la chrétienté, mais en bout de ligne, ce qui compte c’est la force de l’intrigue et l’efficacité de l’écriture. Là-dessus, il faut reconnaître que Dan Brown a plus que réussi son pari, et qu’il s’est amusé à multiplier les codes, les énigmes, les charades et les mystères.

C’est terriblement efficace, mais ça ne veut pas dire que désormais le roman de Dan Brown pourra remplacer le point de vue des historiens, des exégètes, des spécialistes du Moyen-Âge, de la Renaissance, et en particulier de l’œuvre de Léonard de Vinci ou de la légende du Graal, sur l’histoire des origines chrétiennes et de la chrétienté. Il ne faut pas demander à un roman ce qu’il ne peut pas donner, ni non plus le déconseiller ou le disqualifier parce qu’il se permet manifestement de grandes libertés par rapport à l’histoire.

Les leçons d’un succès

Le phénomène Da Vinci Code, avec des ventes de plus de cinquante millions d’exemplaires, ne s’explique pas seulement par la puissance d’une machine publicitaire bien rodée. Je retiens personnellement deux grandes leçons d’un tel succès :

S’il est vrai que « les absents ont tort », il faut admettre en toute honnêteté que nous n’avons pas su partager avec le grand public les progrès prodigieux qui ont été faits depuis plus d’un siècle sur l’interprétation des évangiles et de la littérature apocryphe1 qui les a précédés et suivis. Dan Brown nous fait sans doute la leçon, et pas à peu près! Mettons-nous au travail de manière plus adaptée à la culture d’aujourd’hui et plus convaincante!

Éviter la surenchère de la réaction

Je suis personnellement étonné de voir tout ce qui s’est dit ou écrit sur le sujet, pour ou contre le Code : des livres entiers, des congrès, et des sites Web par millions, paraît-il! Faut-il se braquer contre le roman et entreprendre de le défaire pièce par pièce? De toute évidence, nous n’avons rien à gagner à la confrontation, qui de toute façon ne peut pas avoir lieu, puisque Dan Brown décline toute entrevue et tout débat.

D’une part, ce serait lui faire de la publicité gratuite alors qu’il en a déjà amplement — à moins que l’on ne cherche à s’en faire soi-même sur le dos d’une œuvre à succès…?

D’autre part, je crois qu’une entreprise de « démolition » ne fait qu’entretenir le doute créé par les propos du roman. Une riposte excessive donnera l’impression justement que le christianisme a encore et toujours quelque chose à cacher. Il y a mieux à faire.

Une occasion à saisir

La meilleure solution est d’offrir un discours alternatif, autre que polémique ou apologétique. Il faut poursuivre le travail pédagogique de vulgarisation biblique et encourager la lecture des écrits apocryphes chrétiens. Pour passer de la parole à l’acte, j’ai choisi, personnellement et pour la première fois en trente ans de recherche et d’enseignement biblique, d’offrir l’automne prochain un cours sur Les apocryphes et les origines chrétiennes.

Nous disposons d’ailleurs de collections de plus en plus riches, et ce en traduction française récente, avec introductions et notes critiques de très grande qualité. Je pense ici en particulier aux deux volumes de la Bibliothèque de la Pléiade (1997 et 2005 : près de deux mille pages chacun) et à celui qui paraîtra bientôt sur les écrits gnostiques2 de Nag Hammadi3, sous la direction de chercheurs et biblistes québécois.

Depuis plus d’un siècle, l’exégèse biblique a tout fait pour rendre le plus accessibles possible les textes des apocryphes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Les chantiers de recherche ouverts en ce sens ont déjà grandement contribué à une meilleure interprétation des textes bibliques et ouvriront encore de nouvelles pistes. C’est dire que ça fait déjà un bon moment qu’il n’y a ni cachette ni complot, au contraire !

Avoir l’esprit ouvert et garder son sens critique

Ce sera là ma dernière remarque. Si on parle de nouvelles découvertes — comme la plus récente à propos d’un manuscrit du 3e ou 4e siècle qui serait celui de l’Évangile de Judas, un apocryphe du 2e siècle — ou de théories comme celles du roman de Dan Brown au sujet d’un vaste complot pour écarter les apocryphes chrétiens, il faut prêter une oreille attentive. Tant mieux si on peut faire des découvertes et prendre conscience de la complexité et de la richesse des débats de toute sorte qui ont marqué l’histoire de la chrétienté.

Les apocryphes présentent un intérêt réel pour l’histoire du christianisme des premiers siècles, et on gagne à les lire. Mais, pourquoi faudrait-il les mettre en compétition avec les évangiles et autres écrits canoniques, ou en opposition avec eux? On ne peut tout simplement pas comprendre ni apprécier les apocryphes, si on n’a pas d’abord compris et apprécié les évangiles et les écrits canoniques du Nouveau Testament!

Personnellement, la lecture des apocryphes m’apporte un supplément d’information intéressant et utile. Mais ce n’est rien à côté du bonheur que j’éprouve et de l’inspiration que je trouve toujours dans la lecture des évangiles canoniques et autres écrits du Nouveau Testament. C’est encore ce qu’il y a de meilleur pour comprendre et pour nourrir la foi chrétienne.

  1. Apocryphe
    Écrits religieux d’origine juive ou chrétienne qui ressemblent à ceux de la Bible, mais qui n’ont pas été retenus par l’Église primitive.
    Au total, il est difficile de tirer de ces écrits des informations historiques ou doctrinales. Ils nous font connaître les curiosités populaires et les tendances hétérodoxes qui ont foisonné dès les premiers temps du christianisme.
    Tiré de « Théo l’Encyclopédie catholique pour tous », p. 267

  2. Gnostique
    Relatif à la gnose. Peut être qualifiée de « gnose » toute doctrine selon laquelle le salut vient à l’être humain par une connaissance, souvent de type ésotérique.
    Tiré du Dictionnaire biblique universel

  3. Nag Hammadi
    Ville d’Égypte située à 80 km de Louxor. En 1945, on y découvrit un ensemble de 52 textes religieux et philosophiques du 4e siècle écrits en langue copte.
    Un exemplaire complet de l’évangile apocryphe de Thomas figure parmi ces manuscrits.
    Sources : www.nag-hammadi.com et http://fr.wikipedia.org