Évangile et inculturation – I

1er article d’une série de 2 – Comment rendre la foi chrétienne intelligible et désirable pour nos contemporains? Une réflexion sur l’action catéchétique dans une culture déterminée.

L’Évangile est, selon son étymologie, une Bonne Nouvelle.

La nouveauté de l’Évangile

Dans un premier temps, on peut certes répondre que l’Évangile est en soi une bonne nouvelle pour l’humanité. L’enseignement de Jésus relu par les Évangélistes à la lumière de la résurrection est un message radicalement nouveau et porteur de vie.

Jésus a révélé un nouveau visage de Dieu dans ses rapports avec les êtres humains; un Dieu qui aime d’un amour inconditionnel tous et chacun, qui est présent à leur difficulté, à leur souffrance, à leur combat, mais qui est aussi partie prenante de leur aspiration au bonheur, à la justice, à l’amour…

Jésus s’est adressé à Dieu en lui disant « abba », père, ou plus exactement « papa » et il a invité ses disciples à partager son intimité avec Dieu et à se percevoir comme fils et filles du Père. 

Au nom de Dieu, Jésus a préconisé la libération de la servitude des lois et des rites, promouvant ainsi la liberté humaine fondamentale. Saint Paul a bien compris ce nouveau statut accordé à la liberté en christianisme : « C’est à la liberté que vous avec été appelés » (Ga 5,13). 

Jésus a affirmé avec force la dignité humaine en manifestant publiquement une « option préférentielle » pour les petits, les pauvres, les malades, les exclus, révélant ainsi les préférences de Dieu. Qu’on pense aussi à ses enseignements sur le pardon et la miséricorde, sur la justice et l’amour fraternel, etc.

Rappelons enfin le témoignage de l’ensemble des auteurs du Nouveau Testament sur la résurrection de Jésus comme fondement de l’espérance chrétienne fondamentale et comme mystère de salut : « Christ est ressuscité, prémices de tous ceux qui sont morts » (1 Co 15,20). Il est donc indéniable que le message du Nouveau Testament était et reste percutant.

L’Évangile est-il dépassé?

Dans un deuxième temps, on peut se poser toutefois la question : L’Évangile est-il une nouvelle valable pour aujourd’hui?

Telle est la question que se posent beaucoup de nos contemporains, surtout parmi les jeunes.

« Je ne suis pas intéressé à vivre ma vie à la lumière d’un message d’un autre siècle et d’une autre culture », me disait récemment un jeune de 25 ans; « il faut regarder vers l’avenir et non vers le passé ».

Peut-on continuer à proclamer comme une bonne nouvelle un Évangile rédigé il y a si longtemps, dans un autre contexte social et religieux et s’adressant à des gens qui avaient des préoccupations si différentes des nôtres? 

Finalement, la question est de savoir si l’Évangile est bon et utile pour nous quand il est confronté aux attentes qui sourdent actuellement du fond de nos cœurs. Se pose dès lors de façon lancinante le problème de l’inculturation de l’Évangile dans notre monde.

L’inculturation et le message évangélique

Dieu se dit à chacun, à chacune, dans sa culture.

L’Évangile n’est Bonne Nouvelle que lorsqu’il s’incarne dans une culture déterminée; il devient alors significatif pour les gens de cette culture. C’est là la règle fondamentale de l’inculturation de la foi chrétienne. Il en a d’ailleurs toujours été ainsi.

En effet, chaque époque a présenté le message évangélique d’une manière particulière, adaptée à la culture du temps :

Par inculturation, « on entend donc le processus par lequel l’Évangile s’insère dans une culture particulière où il prend racine, de sorte qu’il produit des fruits nouveaux. L’inculturation de l’Évangile répond à la logique du mystère de l’incarnation du Fils de Dieu en Jésus de Nazareth » (Normand Provencher)

Le travail d’inculturation consiste à rendre la foi chrétienne compréhensible et désirable en faisant appel aux représentations mentales des auditeurs.

Il faut que les représentations de la foi déclenchent des résonances culturelles significatives dans le cœur des gens.  Il faut aussi que la Bonne Nouvelle annoncée se situe dans la ligne des aspirations des hommes et des femmes d’aujourd’hui.

Le catéchète ne peut évidemment pas se dispenser de l’effort de rendre la foi intelligible et désirable aux yeux de ses concitoyens.  Autrement, comment l’Évangile pourrait-il apparaître comme la Bonne Nouvelle de la plénitude de vie en Jésus-Christ? Comment une nouvelle qui n’est pas significative et inspirante dans une culture donnée peut-elle se présenter comme une Bonne Nouvelle?

De là l’importance pour nous de refaire à notre tour la relecture de l’Évangile et de la Tradition en tenant compte du contexte socioculturel et des sensibilités qui sont les nôtres aujourd’hui. L’Évangile est une source inépuisable de sens que chaque époque a le devoir de revisiter et de mettre en valeur pour inspirer et dynamiser la marche de ses frères et sœurs en humanité.

Le langage catéchétique

Même dans une bonne traduction française, les mots employés par les Évangélistes sont souvent étrangers à notre culture et à notre vision du monde; ils sont alors sans résonance vitale pour nous.

Dans l’ensemble, ce ne sont pas les mots de notre existence concrète. Il est urgent de réfléchir sur la façon de réinventer pour aujourd’hui le langage de la catéchèse.

Entre autres, le vocabulaire traditionnel exprimant le salut chrétien est à repenser. Par exemple, les mots rédemption, rachat, sacrifice, avaient dans l’Église primitive une résonance affective très forte : la communauté chrétienne du temps comptait des anciens esclaves qui avaient peut-être connu les chaînes; le terme rédemption, ou rachat, signifiait tout pour eux.

Qu’on pense aussi au terme sacrifice : au temps de Jésus, des sacrifices sanglants d’animaux, on en voyait chaque jour au temple de Jérusalem ou dans les temples de l’empire romain. Ces mots-là n’ont plus aucune résonance affective dans la culture actuelle. Ils n’évoquent plus pour nous une expérience, un monde intérieur.

Par ailleurs, certains mots utilisés par saint Paul sont encore très significatifs pour nos contemporains : par exemple les termes liberté, libération, humanité nouvelle. Ou encore, les termes employés par l’Évangéliste Jean, tels, l’amour, la lumière, la vie, la nouvelle naissance.

Il est de première importance de redire le salut dans des termes significatifs qui renvoient à des réalités concrètes de la vie des chrétiennes et des chrétiens d’aujourd’hui.

La pédagogie catéchétique

Au plan pédagogique, il ne faut pas oublier toutefois que le rôle du catéchète ne consiste pas d’abord à enseigner des vérités et à propager une doctrine.

Aucune parole ne peut remplacer pour les catéchisés l’expérience personnelle et profonde du Seigneur en soi.

Les laïcs, jeunes et adultes, ne peuvent plus être considérés comme objet de notre ministère catéchétique (i.e. ceux que l’on instruit et dirige), mais comme étant d’abord les sujets de leur propre vie de foi. Notre action catéchétique ne peut pas s’exercer dans une seule direction comme si nous étions les maîtres et eux les disciples. Il faut plutôt s’habituer à cheminer ensemble dans la foi.

Si nos contemporains chrétiens ne vivent pas eux-mêmes d’authentiques expériences de Dieu, ils ne pourront jamais s’approprier leur foi; ils ne se sentiront pas appelés de l’intérieur à être disciples de Jésus.

Il est bien fini le temps d’une religion imposée qui ne ferait pas appel à la responsabilité et à la liberté des gens. La foi est don de Dieu. Aucune autorité humaine ne peut s’arroger le droit de l’imposer.

Il ne s’agit pas seulement de tenir compte du vécu des gens. Le catéchète doit s’efforcer de découvrir en eux et avec eux l’action de Dieu et de l’Esprit Saint et les aider à nommer leur expérience spirituelle, leur histoire sainte.

C’est d’abord l’Esprit Saint qui évangélise : « Il vous enseignera toute chose », avait dit Jésus. Le rôle du catéchète est souvent d’aider les gens à nommer leur foi à la lumière de l’Évangile et de la Tradition vivante de l’Église. Et de les inviter par la suite à avancer toujours plus loin sur le chemin des Béatitudes à la suite de Jésus.